A l'âge où l'on n'a encore pas lu beaucoup de livres, peut-être est-on plus désireux d'en lire de nouveaux que de relire ceux qu'on connaît déjà. Pourtant l'enfant à qui l'on a raconté une histoire ne demande-t-il jamais qu'on la lui raconte à nouveau? Et si, enfants et adultes, nous avons des bibliothèques, n'est-ce pas dans la pensée qu'un jour nous aurons plaisir à relire les livres que nous y conservons ?
[...] Quel que soit le plaisir que nous procure cette nouvelle lecture, nous ne nous y attarderons pas, car il ne suffirait pas à nous prouver la supériorité de ces livres si nous n'y trouvions d'autres preuves de leur valeur. A. AU DELA DE LA PREMIERE LECTURE Notre première lecture est souvent guidée par le désir d'arriver au terme de l'intrigue, qu'il s'agisse d'un roman ou d'une œuvre théâtrale; nous en avons une première connaissance, comme lorsqu'une promenade en voiture nous fait parcourir une région. [...]
[...] Il est même des œuvres (comme celles de certains romantiques), dont nous avions conservé un souvenir enchanté, qui nous déçoivent lorsque nous les relisons, parce que nous n'avons plus la même fraîcheur d'âme. Il y a toujours quelque chose de subjectif et de changeant dans la hiérarchie que nous pouvons être tentés d'établir. Mais il n'en reste pas moins que c'est, pour une œuvre, un signe de faiblesse de ne pas nous inspirer le désir de la relire, ou de ne pas supporter l'épreuve d'une deuxième lecture, comme serait fragile l'amour d'un être que nous ne souhaiterions pas rencontrer à nouveau ou que nous ne reverrions pas sans déception. [...]
[...] La pensée solitaire, se lisant à travers, souvent entre les lignes, voyait, trouvait, créait. Sans faire d'un seul livre la Bible à laquelle nous nous reporterions sans cesse, nous pouvons d'abord être conduits à relire une œuvre comme Les Frères Karamazov ou Les Possédés de Dostoïevski, moins parce que la signification nous en paraîtrait obscure que parce que le foisonnement d'idées et la densité de la pensée ne permettent pas d'en appréhender tout le sens au cours d'une première lecture. [...]
[...] Si claire est l'eau de ces bassins qu'il faut se pencher longtemps dessus pour en comprendre la profondeur. Mais chacun a sans doute quelque livre de chevet, comme les Essais ou les Pensées, dont la richesse est telle qu'ils touchent à tous les problèmes essentiels de notre existence. Ils sont ce que peut être l'Imitation du Christ pour un chrétien, l'occasion d'une méditation sans cesse renouvelée, parce qu'ils nous proposent, en face de nous-même et d'autrui, en face de notre destinée, un choix, une expérience et, selon les étapes de notre propre expérience, nous nous sentons plus ou moins proches de l'un ou de l'autre. [...]
[...] Sans doute le plaisir de la découverte, de l'imprévu, a son charme; mais on sent le besoin de prendre du recul pour mieux saisir la signification de l'ensemble. Il est sans doute banal de répéter que l'œuvre de Proust, dont on n'avait pas aperçu d'abord la composition, recèle en fait une construction parfaitement concertée, mais qui n'apparaît que lorsque les dernières pages en ont livré le secret. Bien que l'ampleur de La Recherche du Temps perdu ne la range pas au nombre de celles qu'un adolescent a le loisir de lire plusieurs fois, ceux qui ont eu ce privilège ont certainement ressenti, parmi les nombreux plaisirs que leur procurait cette connaissance plus intime, celui d'en découvrir les correspondances secrètes. [...]
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