Genre de convention par excellence, le théâtre éprouve périodiquement le besoin de se rapprocher davantage de la vie : les débats pour le moins passionnés qui opposent les tenants de ce que l'on n'appelle pas encore l'esthétique baroque à leurs contemporains qui prônent le respect des règles (que l'on nommera plus tard « classiques »), la controverse qui voit justement s'affronter les héritiers du Classicisme et les jeunes Romantiques, en témoignent... En 1820, Rémusat, dans Le Lycée, tire la sonnette d'alarme : "Que les amis du passé, que les partisans de l'usage se désolent, mais qu'ils se résignent : une inévitable révolution menace notre théâtre". De fait, le XIXe siècle voit surgir avec une grande acuité la question de la modernité littéraire, dans un contexte d'émergence du romantisme. Ce mouvement artistique novateur prône des options stylistiques et thématiques qui s'écartent délibérément des options classiques. Véritable "hussard du romantisme" selon Sainte-Beuve, Stendhal est volontiers considéré par la tradition littéraire comme l'un des précurseurs, ou du moins, comme l'un des théoriciens du romantisme en art.
Publié pour la toute première fois en 1823, son pamphlet politico-littéraire Racine et Shakespeare survient au plus fort de la bataille qui met aux prises les classiques et les romantiques : son texte, qui ébranle l'édifice classique, est le plus important texte théorique avant la publication de la préface de Cromwell. Stendhal y proclame la nécessité de renouveler, d'insuffler un sang neuf à des formes théâtrales sclérosées et définit son propre idéal dramatique ; il met en évidence le retard de la littérature (voire même des arts en général) sur l'évolution des événements historiques et les changements de moeurs, de mentalités, de goût. Que doivent être la tragédie et la comédie modernes, romantiques ? Qu'est-ce que le romanticisme ? Stendhal s'efforce de répondre à cette question délicate ? sur laquelle beaucoup d'autres achoppent ?, avec plus ou moins de précision terminologique... Stendhal prend ici résolument le parti des Modernes, et se définit nettement par opposition à une tradition jugée conservatrice. Fort polémique, le débat est évidemment lourd d'implications axiologiques (...)
[...] Plus qu'un artiste-poète, c'est un artiste-observateur, analyste que semble désirer Stendhal Dans ces conditions, le bon artiste est celui qui parvient à deviner, à percer les tendances morales de son temps. Dès lors, il va de soi que toute imitation, toute pâle copie d'œuvres antérieurs est non souhaitable, sinon proscrite Imiter ( c'est du classicisme ! Aucune pièce ne pourrait prétendre pouvoir servir de fidèle parfait pour le genre de pièces auquel les contemporains aspirent désormais, à telle époque et en tel lieu. [...]
[...] Corti Borgerhoff, J. Le Théâtre anglais à Paris sous la Restauration. Paris: 1912. Hachette. Ubersfeld, A. [...]
[...] Reste qu'avant que Stendhal n'entre en scène, la poussée romantique s'est donc faite sentir, notamment par le biais d'ouvrages tels que De l'Allemagne de Mme de Staël, ou encore le Cours de littérature dramatique de Schlegel (traduit en 1814), qui met en avant la coupure entre, d'une part, les littératures anciennes et, d'autre part, les littératures modernes. En Italie, au début des années 1810, consécutivement à la fin de l'hégémonie de la France, on s'interroge vivement sur l'éventuelle reforme de la langue : une querelle met alors aux prises las partisans du progrès en art et dans la sensibilité, et ceux qui s'y opposent. Aussi, lorsque Stendhal se rend à Milan, il est directement plongé au plus vif des débats. [...]
[...] Ainsi, les premiers accrocs liés aux querelles romantiques s'avèrent être, in fine, peut-être plus politiques que littéraires : des conflits de patriotisme interviennent, la haine des libéraux pour la Sainte-Alliance et l'Angleterre éclate Lors de la première présentation anglaise, en 1823, Louis Börne[12] déclare : On s'attendait à voir non la jalousie d'Othello, mais celle des Français ! De fait, les acteurs n'ont pu se faire entendre, ce fut un véritable tollé, on crie : A bas Shakespeare ! C'est un aide de camp du duc de Wellington ! rapporte Stendhal. [...]
[...] Tous les bourgeois avides d'ascension sociale étaient en quelque sorte invités à évaluer la part de Monsieur Jourdain en eux, tous les avares, la part d'Harpagon en eux ; les coquettes, la part de Célimène qui résidaient en elle Cependant, précise Stendhal, Molière était romantique en 1670, car la cour était peuplée d'Orontes et les châteaux de province d'Alceste fort mecontents. A bien le prendre, TOUS LES GRANDS ECRIVAINS ONT ETE ROMANTIQUES DE LEUR TEMPS. C'est, un siècle après leur mort, les gens qui les copient au lieu d'ouvrir les yeux et d'imiter la nature, qui sont classiques Stendal fournit donc deux définitions antithétiques : Le romanticisme est l'art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l'état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. [...]
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