- Après tout un ensemble de chapitres portant essentiellement, pour schématiser, sur l'enfance et l'éducation du jeune Gargantua, s'ensuit tout un épisode fondamental dans l'économie du Gargantua : la guerre picrocholine, qui oppose le peuple de Grandgousier au colérique Picrocholin...
- En effet, une querelle a priori anodine a éclaté a propos de fouaces entre les paysans des deux souverains respectifs ; cette querelle est très vite tournée à la rixe puis à la bagarre générale...
- Bien vite, les paysans alertent leur roi : cet extrait présente la toute première réaction de Grandgousier, jusqu'alors bien tranquille au coin du feu (cf début du chapitre, avec un tableau intimiste de la vie du vieux roi)... Le comportement agressif et belliqueux de Picrochole le heurte et le blesse profondément : il ne comprend pas.... Mais la situation est critique : les troupes de Picrochole viennent d'envahir le château de La Roche Clermaut (...)
[...] Dès lors, tout s'enchaine, comme le montre a conjonction de coordination Et placée en tête de phrase (l35). Les nombreuses tournures impersonnelles fût conclus on enverrait on envoya permettent de gommer l'identité précise des actants, pour mettre en valeur la dimension collective de l'action menée. Le dialogue constructif et rationnel est de mise, le monarque n'est pas le seul maître à bord pour diriger les opérations. L'assemblée convient donc de l'envoi d'un ambassadeur (Gallet, comme on le verra ultérieurement), afin d'obtenir davantage de précisions sur les motifs de la querelle : Grandgousier se situe toujours dans une perspective de compréhension. [...]
[...] Notons que l'emploi du pronom indéfini on appelle, de la part de ses interlocuteurs, une demande de confirmation. L'apostrophe bonnes gens prend toute sa valeur par contraste avec l'attitude ingrate et traite de Picrochole et des siens. Toute une série de questions rhétoriques, qui apparaissent en cascade, révèle avec force la stupéfaction et l'incompréhension de Grandgousier qui, dans un registre aussi lyrique que marqué de pathos, se refuse d'abord à voir la réalité en face, tant elle lui semble absurde. [...]
[...] Le lyrisme est toujours de mise, à travers les interjections redondantes Ho ho ho ho qui montrent largement la violente émotion du vieux roi, profondément déstabilisé. Une fois encore, il change d'interlocuteur ; cette fois, il se tourne non plus vers Dieu vers ses bonnes gens Il met alors en valeur les liens qui l'unissent à ses sujets, liens éminemment apaisés et harmonieux : mes amis, et mes féaux serviteurs Ici, il est bien sûr fait allusion au pacte féodal : Grandgousier apparaît ci comme un monarque paternel et bienfaisant, très soucieux du bien de son peuple : aussi cherche-t-il avant tout à le protéger et à éviter la guerre, d'où le retour de la modalité interrogative 22). [...]
[...] Le personnage fait retour sur soi et se lance dans une entreprise d'introspection, comme l'indique le ternaire de tout temps, de toute race et alliance avec des termes catégoriques destinés à montrer à quel point il est incroyable que Picrochole l'ait trahi : Grandgousier, bon roi, ne veut pas croire à la trahison, et souligne avec force la dimension intemporelle de leur amitié : non seulement les deux hommes étaient liés par une amitié de cœur, mais aussi par une amitié politique (si l'on peut dire leurs relations étaient placés sous le signe d'une bonne entente qui promettait d'être éternelle ; or, manifestement, l'attachement intime n'a pas résisté à une querelle de portée politique C'est, pour Grandgousier, une bien amère désillusion : on comprend qu'il se refuse d'abord à voir la vérité en face Puis, il tente de comprendre les motifs de Picrochole, tout en niant subtilement sa responsabilité dans cette affaire, comme le souligne une structure anaphorique qui renvoie à des entités mystérieuses qui auraient manipulé Picrochole comme un simple pantin : Qui le meut ? qui le point ? qui le conduit ? qui l'a ainsi conseillé ? [...]
[...] Ensuite, il recherche la solution la plus adaptée, et réagit activement. Problématique Il s'agira de mettre en lumière, dans ce moment très pathétique de déchirement, la démonstration politique qu'effectua Rabelais en filigrane : Grandgousier apparaît comme un monarque chrétien exemplaire, idéal. La détresse et l'incompréhension du vieux monarque est d'emblée mise en lumière, à travers la répétition de l'interjection Holos hélas), qui ouvre l'extrait et donne d'emblée le ton : il s'agit d'une sorte de monologue tragique ; le lecteur se trouve confronté à l'affolement et au tiraillement intérieur d'un roi pacifiste. [...]
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