Ce texte fait partie de la section "Rêveries couleur du temps", composée de courts textes que l'on peut particulièrement qualifier de poèmes en prose. La veine lyrique est indéniable, la poésie est vivante, la citation d'Emerson en exergue l'annonçait déjà. En revanche, ce qui fait la spécificité du texte par rapport à la section, mais également au recueil, c'est qu'il est l'un des seuls à peindre une image positive de l'amour, dans le sens où elle n'entraîne pas chez le narrateur le désespoir, la tristesse, mais la chaleur et le plaisir. Ce plaisir néanmoins est fondé tout au long du texte sur le paradoxe, le narrateur est comblé plus par l'absence que par la présence de sa "bien-aimée", une absence elle-même comblée par le souvenir, souvenir vécu dans un presque délire sensoriel.
Aussi, comment ce texte, alimenté par le paradoxe, matérialise-t-il le souvenir en le rendant guérisseur d'une absence physique ?
Le texte semble bâtit sur trois mouvements qui guideront à chacun l'analyse organisée de manière linéaire. Tout d'abord, le narrateur fait état d'une froideur, d'une absence imparfaite dont elle est la cause, du début à la ligne 11. Ensuite, le souvenir, joie sans interruption, entraîne la volupté chez le narrateur de la ligne 11 à la ligne 22, ce qui, enfin, apothéose, comble cette absence charnelle par l'embrasement total de la passion en concluant paradoxalement par une métaphore physique, de la ligne 22 à la fin.
Ces trois mouvements se feront chronologiquement échos dans l'analyse à travers les axes suivant : le contraste de la température, la figure de la femme inaccessible, la soumission et la passion du narrateur, la volupté puis la présence par l'imagination.
Le texte s'ouvre sur le pronom personnel "je" l.1 indiquant d'ores et déjà la position du narrateur, qui est le personnage dont il est question. Tout est vu de son point de vue, l'intériorité se fait plus importante. Ce déictique en est accompagné par d'autres comme "au matin" l.1 ou "tout à l'heure" l.3 qui tendent à fixer un cadre spatiotemporel, mais aussi du pronom possessif "ta" l.3 qui indique la position du narrataire, étant destinataire explicite du texte. Le texte semble s'adresser à une personne en particulier. L'assemblage de ces marqueurs donne déjà le ton : le narrateur revient d'une nuit avec le narrataire, une nuit passée dans une "chambre" l.3, une nuit occupée puisque le participe passé "couché" l. 2 s'applique à la narration au présent qui elle a lieu au matin (...)
[...] La présence est devenue ce que l'on pourrait dire parfaite : le narrateur est conscient de ses défauts et il les comble par le souvenir et la volupté. Le texte est dans son apothéose et le démonstratif c'est l montre qu'elle est volontaire de tout cela, qu'elle cause sinon son trouble son plaisir. Le narrateur va ensuite mettre sur le même plan, en une énumération d'adjectifs, fine, mélancolique et chaude l la mélancolie, le raffinement et la passion, tous trois ingrédients essentiels de son imagination, puisqu'en cherchant à combler la mélancolie par le raffinement, le souvenir, il domine quelque par sa passion qui paradoxalement le consume tout entier. [...]
[...] Mais que sont ces perles ? S'agit-il d'une métaphore de l' horripilation c'est-à-dire chair de poule, qui forme de petites boules sous un contraste de froideur et de chaleur, comme l'approuve peut- être le verbe nuancer l ? S'agit-il de gouttes de transpiration, qui elles aussi dépendent de la chaleur de la personne et ne peuvent rester éternellement sur sa peau, se nuançant à la chaleur ? Ou bien s'agit-il des larmes, bien que cela soit moins probable puisque le corps est ici considéré en son entier alors que les larmes se limitent normalement au visage Quoi qu'il en soit, ces possibilités renvoient au charnel, et là où le narrateur y voyait de l'insurmontable, de l'insatisfaction, c'est pourtant à l'aide d'une comparaison physique qu'il décrit le mieux son état. [...]
[...] Le narrateur semble dans un état de faiblesse et de fatigue intenses. La froideur est évoquée et alimentée, notamment par les adverbes frileusement l.1, frissonnant l.2. Est-ce parce que le narrateur était dehors auparavant, où est-ce parce qu'il sort d'un moment qui l'attriste ? Les adjectifs mélancolique et glacé l.2 viennent confirmer cette dernière piste, la froideur est associée à la mélancolie, aussi le moral du narrateur a des répercutions physiques dignes du délire terme employé l.2 accentuant l'ambiguïté de son état. [...]
[...] L'affluence de ces adresses marque l'importance de la femme, et suggère un ton de déploration du narrateur, ce qui se confirme par le parallélisme construit lui-même suivant ce balancement entre tes et autant à deux reprises. Tout ce rythme est entretenu par des tirets qui, en plus d'accentuer l'effet de retard, apportent de l'importance aux éléments du balancement. Les amis et projets de la narrataire montrent qu'il s'agit d'une personne aux amours plurielles, qui a moins d'estime et d'égard pour le narrateur qu'il n'en a pour elle. [...]
[...] La différence entre les deux emplois du mot chambre est que le narrateur semble bien comblé là où elle n'arrivait à le faire se sentir qu'illusionné. Cela se confirme par le verbe avoir l qui traduit l'obligation qu'il a face au charnel quand il est avec elle, la préposition sans même ligne balayant le défaut qui bloquait la perfection et l'état de comble. L'adjectif insurmontable l a valeur hyperbolique, ce qui montre encore une fois l'inaccessibilité de la femme et la bien forte impression qu'elle lui procure, ce qui semble totalement le priver de ses moyens, ce qui est entièrement le cas dans ce texte, et ce que montre bien l'adverbe irrésistiblement l Alors qu'il prend encore une fois conscience de ce dont la femme le prive, du malheur qu'elle lui apporte quand ils sont ensemble et se quittent, le narrateur va encore tendre vers le paradoxe par la fin de la phrase, une fin attendue par le retardement. [...]
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