La princesse de Clèves, Madame de Lafayette, Charles Sorel, personnage, augustinisme, libre arbitre, sentiments, Commentaire d'oeuvre, mise en scène, pensée analytique, passion amoureuse, caractère dramatique, condition humaine
« Une personne qui écrit de même qu'elle parle ». C'est ainsi que Charles Sorel, dans son ouvrage De la connaissance des bons livres (1671), caractérisait l'écriture de Mme de Lafayette, et cette splendide oralité du style se révèle tout particulièrement dans les scènes de soliloque qui traversent son roman La Princesse de Clèves, comme celui du tome troisième où la princesse fait l'épreuve de la violence de sa passion pour M. de Nemours après avoir passé de douces heures en sa compagnie, en présence de son mari, à réécrire la lettre de galanterie perdue du vidame de Chartres. Le prince de Clèves et Nemours viennent de la quitter, elle reste seule et peut se livrer à la réflexion. Ainsi débute une scène d'introspection qui s'achève en un soliloque délibératif, marqué par le passage du style indirect libre au discours direct.
Au cours d'un long monologue intérieur, la princesse se livre à une analyse des sentiments qu'elle découvre en elle, sentiments dont la nouveauté et l'intensité ne manquent pas de l'étonner, et tour à tour de la séduire et de l'effrayer tandis qu'elle s'efforce d'y porter un regard d'une lucidité et d'une rigueur intransigeantes. On verra comment ce parcours introspectif, qui vient répondre à l'état de confusion songeuse où la laisse la joie intense ressentie à la présence de Nemours succédant à la violente douleur de l'avoir cru engager dans une galanterie, censé réconcilier la jeune femme avec elle-même, mettre terme à son désarroi, lui rendre la paix intérieure et la quiétude d'une conscience en accord avec sa raison, se dénonce lui-même comme une impasse, et en appelle à l'éloignement géographique pour suppléer à son impuissance.
[...] Savoir Nemours au courant des sentiments qu'elle éprouve pour lui accroît sa vulnérabilité, mais aussi l'impression qu'il fait sur elle. Une complicité coupable désormais les unit. Dans le paragraphe suivant, tandis que la raison lui ouvre les yeux sur les probabilités que monsieur de Nemours, héros admiré pour sa bravoure, séduisant, galant et spirituel, doté de toutes les perfections physiques et intellectuelles, ne puisse résister à des aventures féminines, la princesse n'exclut pas absolument, quoique « peu vraisemblable », la perspective « d'un attachement sincère et durable ». [...]
[...] Ce passage de La Princesse de Clèves s'affirme dès lors essentiel dans la progression du roman, bien qu'il soit construit sur un soliloque immobile et purement intérieur. L'héroïne de madame de Lafayette s'y livre à un véritable combat avec elle-même mais aussi avec les autres protagonistes du roman, dont l'absence favorise la présence influente dans son esprit et semble souffler sur sa décision. Ainsi ce soliloque est-il peuplé des personnages qui sont des références pour la princesse. Dans ce combat qu'elle entreprend pour parvenir à la pleine lucidité, la princesse nous émeut et nous édifie à la fois. [...]
[...] Sa décision de s'arracher à Nemours et de s'arracher au monde comporte une dimension ascétique, proche du renoncement religieux dont Louise de La Vallières ou l'Abbé de Rancé ont donné des exemples. L'influence de l'augustinisme souvent évoquée pour La Princesse de Clèves n'exclut pas la souveraineté d'un libre arbitre intervenant dans la trame des émotions que l'être humain subit pour rompre la continuité des sentiments. Le héros cornélien a la volonté de dompter les passions qui affectent son âme, voire de les transformer, et c'est cet héroïsme exemplaire auquel parvient à son tour, malgré sa grande jeunesse et sa condition féminine, l'héroïne de madame de Lafayette. [...]
[...] Aux actes voulus par sa volonté, aux résolutions qu'elle a faites siennes et au souci de fidélité à sa propre image, à l'idéal de grandeur et de vertu qu'elle s'est fixé vient faire obstacle la passion, cette « inclination » qui entraîne malgré soi, que l'on subit selon le sens étymologique du mot auquel est ici lié le verbe souffrir. Au-delà de la fidélité conjugale, la princesse invoque la fidélité à elle-même et au caractère de constance qui est le sien. Elle se montre surtout lucide sur les affres de l'amour - elle en a été prévenue par madame de Chartres, et reflètes-en cela la vision pessimiste, conséquence du caractère tragique de l'existence humaine, partagée par madame de Lafayette et un certain nombre de ses contemporains et amis. [...]
[...] Si nécessaire, enfin, révéler à son mari la raison secrète de cette retraite pour être sûre qu'il ne s'y oppose pas. Cet aveu, dont l'idée était déjà venue à son esprit attaché à la vérité, malgré le mal qu'il causera à son mari et à elle-même, laisse apparaitre ce paradoxe qu'au moment où la princesse révèlerait à son mari la raison secrète de son désir de retraite, elle se révèlerait aussi à elle-même cette raison qu'elle tente de se garder secrète, et qui la met face à son impuissance à lutter contre sa passion dès lors qu'elle risque de rencontrer Nemours. [...]
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