- Une vie montrée comme monotone : l'uniformité est traduite par les répétitions lexicales ("fait du tricot" aux vers 1, 6, 13, "le tricot" aux v. 21 et 22, "tricote" au v. 16, les dix occurrences de "affaires", les sept occurrences de la "guerre") et par le champ lexical de la permanence : le verbe "continuer" est repris cinq fois et l'emploi omniprésent du présent d'habitude accentue cette situation monotone. Enfin le choix d'un verbe très banal ("faire"), employé seul (v. 4) ou mis en facteur commun (v. 5 à 7, v.13), permet de montrer que les activités du tricot, des affaires et de la guerre participent d'une même logique et d'un même quotidien banal.
- L'évocation d'une famille bourgeoise, avec des fonctions bien marquées et distinctes : un père qui réussit dans les affaires et exerce la fonction la plus noble, une mère qui ne travaille pas et est réduite à une activité machinale typique et secondaire, un fils qui n'a comme horizon que la reproduction de la situation du père, dont il est un héritier. Le futur du verbe au v. 15 et l'allitération en [f] ("il fera des affaires") associent nettement l'avenir du fils à la situation actuelle du père.
- Un style qui rend sensible le caractère terne et machinal de cette vie : une simplicité apparente du poème qui épouse le style de la chanson (grâce à l'effet de refrain des deux interrogations et l'écho des vers 3, 9 et 20), des rimes et des sonorités semblables, une langue proche de la langue parlée pour créer une impression de banalité, des structures syntaxiques simples - sujet, verbe, complément - et juxtaposées (qui plus est, sans effet de rejet : un vers égale ici toujours une unité syntaxique), pas d'adjectifs qualificatifs (...)
[...] La monotonie du style permet de mettre en relief l'ouverture d'esprit restreinte et les préjugés étroits d'un tel milieu. Prévert écrit ici un poème fantaisiste (familiarité avec ça ; oralités avec l'anacoluthe du v.13, la reprise du sujet aux v la répétition du v.10, l'ellipse des v.7-8) pour fustiger une vie sans fantaisie, une vie de résignation voire de collaboration : ce poème montre en effet comment on ne s'indigne pas, comment on accepte l'inacceptable, comment on admet l'inadmissible. [...]
[...] Prévert ne vise donc pas des individus ou des travers particuliers, mais des rôles sociaux, présentés comme très répandus. Aucune précision spatio-temporelle, si bien que ce poème vaut bien au-delà de la Seconde Guerre mondiale : même si le poème peut sembler dénoncer implicitement le slogan pétainiste et vichyste Travail, Famille, Patrie et évoquer la collaboration avec le régime nazi, sa force est d'avoir une portée plus universelle et intemporelle. D'ailleurs, le recueil Paroles fut publié au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais contient plusieurs textes des années 1930, marqués par l'antimilitarisme et le pacifisme de cette période. [...]
[...] Froideur apparente du texte, à l'image de la froideur des sentiments dans ce triangle familial : le fils ne se rapproche du père que pour les affaires le père et la mère ne se rapprochent que pour aller au cimetière. Le fait que la mort du fils ne change rien à la routine de la vie des parents (la mère continue de tricoter et le père de faire des affaires) crée comme un accroc dans le tricot du texte : le poète ne donne pas l'image valorisante de parents qui surmontent héroïquement leur peine, ce que pourrait laisser croire l'expression la vie continue (v.21), mais la vision négative d'une famille sans émotion à la mort du fils : Ils trouvent ça naturel le père et la mère (v.20). [...]
[...] L'écart entre le tricot du texte et le tissage des Parques : une réécriture burlesque Avec l'image du tricot maternel et en adoptant une forme qui tente de se rapprocher d'un tricot, le poète joue avec l'image traditionnelle du tissage de la destinée par les Parques dans la mythologie antique, qu'il subvertit malicieusement : sorte de réécriture de ce motif antique, le poème est ainsi plus savant qu'il n'y paraît de prime abord et l'écart créé de manière burlesque entre le tricot et le tissage des Parques permet de remettre en question la vision tragique adoptée par les parents à l'endroit de la mort de leur fils. III. UNE SATIRE SOCIALE UNIVERSELLE ET UN APPEL À L'ÉVEIL DES CONSCIENCES ENDORMIES A. La remise en cause d'une vision bourgeoise de la famille, de la société, de la guerre, des affaires Ce poème condamne de manière implicite une vie subordonnée aux affaires et broyée par elles (cf. la répétition du terme affaires au v.23, au détriment de toute autre réalité), et stigmatise une vision bourgeoise et hiérarchisée de la famille et de la vie (cf. [...]
[...] LE RÉCIT DE LA VIE D'UNE FAMILLE BOURGEOISE PRÉSENTÉE EN APPARENCE COMME TRAGIQUE ET NATURELLE A. L'évocation d'une famille bourgeoise à la vie monotone Une vie montrée comme monotone : l'uniformité est traduite par les répétitions lexicales fait du tricot aux v le tricot aux v.21 et 22, tricote au v.16, les dix occurrences de affaires les sept occurrences de la guerre et par le champ lexical de la permanence : le verbe continuer est repris cinq fois et l'emploi omniprésent du présent d'habitude accentue cette situation monotone. [...]
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