La Chartreuse de Parme (1838) est probablement le roman le plus romanesque de Stendhal, celui qui offre le plus matière à rêver. Fabrice et Clélia y vivent un amour singulier, à la fois romantique et secret, très différent des passions grandiloquentes et verbeuses qui triomphent dans la littérature de l'époque. L'extrait qui nous intéresse est tiré du chapitre V ; des gendarmes arrêtent Fabrice, sa tante et sa mère, qui circulent sans passeport. Simultanément, le général Fabio Conti et sa fille Clélia sont arrêtés pour les mêmes raisons. La Sanseverina se fait passer pour la mère de Fabrice et, au final, l'incident se termine bien. Cette mésaventure est l'occasion d'un premier contact entre Fabrice et Clélia, qui n'a alors que 12 ans. Les deux futurs amoureux n'échangent que quelques mots, mais leurs regards en disent déjà bien long… Stendhal narre l'aventure et cette première rencontre dans le style léger et allusif qui est le sien. Nous verrons dans un premier temps comment Stendhal met parallèlement en scène une petite comédie sociale et la naissance d'un amour romanesque, puis nous nous intéresserons à l'opposition des deux protagonistes les plus actifs de cette aventure : Gina et Fabio Conti, qui incarnent respectivement la noblesse authentique, celle du cœur, et la noblesse formelle, celle du nom. Enfin, dans un troisième temps, nous étudierons la dimension programmatique de ce passage, dans lequel les thèmes et les événements les plus essentiels de La Chartreuse de Parme sont déjà annoncés.
[...] Ce serait une charmante compagne de prison, se dit Fabrice : quelle pensée profonde sous ce front ! elle saurait aimer. Le maréchal des logis s'approcha d'un air d'autorité : - Laquelle de ces dames se nomme Clélia Conti ? - Moi, dit la jeune fille. - Et moi, s'écria l'homme âgé, je suis le général Fabio Conti, chambellan de S.A. S. Mgr le prince de Parme; je trouve fort inconvenant qu'un homme de ma sorte soit traqué comme un voleur. [...]
[...] Aujourd'hui il vous empêche de vous promener. - Je m'éloignais déjà avec ma barque, j'étais pressé, le temps étant à l'orage ; un homme sans uniforme m'a crié du quai de rentrer au port, je lui ai dit mon nom et j'ai continué mon voyage. - Et ce matin, vous vous êtes enfui de Côme ? - Un homme comme moi ne prend pas de passeport pour aller de Milan voir le lac. Ce matin, à Côme, on m'a dit que je serais arrêté à la porte, je suis sorti à pied avec ma fille ; j'espérais trouver sur la route quelque voiture qui me conduirait jusqu'à Milan, où certes ma première visite sera pour porter mes plaintes au général commandant la province. [...]
[...] Homme tout à fait commun disait les yeux de la comtesse à la marquise. Grâce à la comtesse, tout s'arrangea après un colloque d'une heure. Un gendarme, qui se trouva avoir affaire dans le village voisin, loua son cheval au général Conti, après que la comtesse lui eut dit : - Vous aurez dix francs. Le maréchal des logis partit seul avec le général ; les autres gendarmes restèrent sous un arbre en compagnie avec quatre énormes bouteilles de vin, sorte de petites dames-jeannes, que le gendarme envoyé à la cassine avait rapportées, aidé par un paysan. [...]
[...] Ainsi, Fabrice et Clélia se rencontrent dans le cadre d'une arrestation ; Fabrice découvre Clélia pour la première fois entre deux gendarmes Fabrice pense ensuite à elle comme une compagne de prison : Ce serait une charmante compagne de prison, se dit Fabrice Or, l'amour de Fabrice et Clélia s'épanouira dans le cadre a priori peu favorable d'une prison, lors de l'emprisonnement de Fabrice dans la tour Farnèse (le père de Clélia, Fabio Conti, a été nommé gouverneur de la prison, ce qui fait que Clélia y habite). Notons aussi que, lors de cet épisode, ni Clélia ni Fabrice n'ont de passeport. Or dans la suite du roman, leur amour se passera de papier, puisque Clélia se mariera à un autre et que Fabrice se fera ecclésiastique : ils vivront leur passion dans la clandestinité. Cet amour débuté sous les auspices de l'illégalité ne trouvera jamais sa place au grand jour, dans la société. [...]
[...] On entendit un gendarme s'écrier : - Qu'importe ! S'ils n'ont pas de passeports, ils sont de bonne prise tout de même. Le maréchal des logis semblait n'être pas tout à fait aussi décidé, le nom de la comtesse Pietranera lui donnait de l'inquiétude, il avait connu le général, dont il ne savait pas la mort. Le général n'est pas homme à ne pas se venger si j'arrête sa femme mal à propos se disait-il. Pendant cette délibération qui fut longue, la comtesse avait lié conversation avec la jeune fille qui était à pied sur la route et dans la poussière à côté de la calèche ; elle avait été frappée de sa beauté. [...]
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