Ce poème, qui s'intitule « Les Ponts », fait partie des Illuminations, une des dernières œuvres de Rimbaud. Précédé de « Ouvriers » et suivi de « Ville » dans ce recueil de poésies, il s'agit d'un texte court, constitué d'un seul paragraphe qui comprend 15 lignes et 9 phrases.
« Les Ponts », qui reste le seul poème en prose du recueil où le substantif soit précédé de l'article défini, semble ainsi relever d'un type de poèmes dont la modernité réside en partie dans le prosaïsme d'un sujet tiré d'une réalité connue du lecteur contemporain, la ville. Ainsi d'un seul tenant, ce texte rejoint les autres poèmes de cet ouvrage, construits à partir de motifs architecturaux et urbains, « Métropolitain », « Ornières », « Villes I et II », en opposition aux poèmes dits « narratifs » comme « Après le déluge », « Conte », « Bottom », « Aube ».
Déjà Baudelaire avait fait entrer en poésie les grandes cités de l'ère nouvelle industrielle, que l'on peut effectivement retrouver dans les « Tableaux parisiens » des Fleurs du mal. Il s'y était montré plus rêveur que peintre et dessinateur. Rimbaud va quant à lui brosser de véritables tableaux, échafauder des architectures concrètes, créer des atmosphères urbaines, relevant avant l'heure d'un impressionnisme et d'un cubisme, plus particulièrement dans ce poème. Le poète va en effet offrir au lecteur une vision particulière des ponts, qu'il va faire naître dans les huit premières phrases, avant de tout effacer dans la neuvième.
Aussi va-t-il présenter son poème comme un tableau abstrait, ce qu'il s'agira de mettre en évidence dans un premier temps.
[...] En partant d'un point de départ statique, le poète a ensuite multiplié les mouvements et invité le lecteur à une succession de spectacles pour finalement tout anéantir en une seule image. Il a ainsi illustré sa véritable fonction, son rôle de démiurge. Capable de nourrir la construction d'une image et de créer une nouvelle réalité, Rimbaud met l'accent, tout au long de ce poème sur son pouvoir de création mais aussi de destruction, ce que traduit la dernière phrase, où l'écrivain prend congé de lui-même et de nous. [...]
[...] Ces reflets ne cessent de se modifier comme le suggèrent ces figures qui ne se répètent pas dans les autres circuits éclairés du canal mais qui se renouve[llent] entraînant de nombreux effets d'optique, à l'instar d'un kaléidoscope qui, par le biais d'un jeu de miroirs, démultiplie les figures à l'infini. La description des ponts s'apparente ainsi à une peinture qui traduirait des scènes de mouvement : tout bouge vite, tout est en mouvement, tout dérive ou s'échappe, ce qui contribue à laisser le lecteur dans une interprétation incertaine. Il se voit contraint, en effet, de suivre la description dans une sorte de confusion, un vertige de sens. Il n'a pas d'autre choix, en lisant Les Ponts que de se fier au poète qui dirige son regard. [...]
[...] Ce dernier, en effet, pourrait parfaitement convenir à celui d'un tableau car l'auteur associe au substantif Ponts l'article défini Les Nombreuses sont ainsi les œuvres picturales qui respectent cette formulation. A lui seul, le titre est donc hautement significatif : il semble alors annoncer l'orientation du poème à laquelle le lecteur s'attend naturellement, celui-ci s'imaginant alors que le texte va lui donner à voir une représentation de ces ponts, un dessin de ces ponts, éléments qui lui sont familiers. En usant d'emblée de termes qui relèvent du registre pictural, Rimbaud vient ainsi confirmer cette impression. [...]
[...] Mais Rimbaud l'utilise surtout comme un flash, une lumière, une illumination qui renvoie au titre même du recueil. Même s'il se refuse à donner le vrai sens de sa dernière phrase, nous pouvons penser qu'au moyen de celle-ci, il cherche à anéantir certes la comédie jouée par ceux qui portent les costumes et les instruments, mais aussi de manière plus essentielle la comédie qu'il nous joue lui-même. Il dénonce par la même que cette réalité, qu'il s'est employé à construire tout au long du poème n'était finalement que comédie, théâtre, illusion. [...]
[...] Cette première formule musicale qui trouverait sa fin dans un mouvement de décrescendo comme le suggèrent les verbes s'abaissent et s'amoindrissent laisserait alors place à une deuxième période plus agitée, ainsi qu'en témoigne la construction même du poème, désormais constitué de phrases de courte durée qui se succèdent rapidement et qui sont séparées par des virgules. On pourrait à ce moment assister à un changement de mesure, le rythme binaire prenant le pas sur le rythme ternaire puisque le texte voit se succéder les deux phrases suivantes : Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets Pour établir de la sorte une analogie entre la poésie et la musique, Rimbaud joue sur l'ambivalence des termes qu'il utilise. [...]
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