Francis Ponge est un auteur contemporain qui a toujours refusé d'être désigné sous le nom de poète, qui a refusé les topoi poétiques et a préféré travailler sur des choses banales, courantes voire triviales selon les codes de la poésie ; il a introduit l'inédit en poésie. Prenons pour seuls exemples des titres comme « le cageot », le « 14 Juillet » ou encore ici le « plat de poissons frits ». Oui, Ponge est un poète qui s'intéresse aux choses, à la chose elle-même, il veut se dégager d'un humanisme usé, d'une poésie tournée vers l'homme ; c'est ce qu'il nomme « le parti pris des choses ».
En quoi cet auteur, qui refuse le nom de poète, réinvente-t-il pourtant la poésie ?
On ne peut pas parler d'une volonté démiurgique chez Ponge, tout du moins pas au niveau du sujet, mais bien plus au niveau du langage ; non, il est bien plus question d'une cosmogonie de la chose : expliquer ce qu'elle est, en elle-même, ses origines.
Ainsi, on peut parler d'un premier texte, que l'on prendrait au sens le plus explicatif, c'est-à-dire un dimanche ensoleillé au bord de la mer, à table, avec pour mets un plat de
poissons frits. Ici, c'est donc une focalisation propre à Ponge, la chose est banale, totalement ordinaire, inédite, jamais utilisée comme chose au potentiel poétique : le plat de poissons frits. Nous avons ici la description de la cuisson (« cuit à l'huile »), nous avons la mention des arêtes (« les grandes épées »), encore une mention de la cuisson (« bien grillée »). Nous avons la description de ce repas, de son cadre, avec Sète, en fond, comme une carte postale, avec comme l'impression d'un arrêt sur image, comme si l'on posait les yeux sur une carte postale : « pellicule impressionnable », « instantané », « révélé ». Le langage que Ponge utilise ici semble être un langage familier (« boulette élastique », « au moment qu'on s'apprête »), ou tout du moins courant. À première vue, cela semble être un langage usuel, mais à y regarder de plus près, c'est un langage différent, un véritable travail sur les mots : « caramel de peau de poisson », expression peu courante, insiste à la fois sur la couleur et la texture.
[...] Même élève, un an plus tard : on peut reprocher à cette copie un manque de précision sur le texte, avec une manière d'écrire qui peut-être retarde le sens que l'on veut exprimer. Il faut travailler la précision des termes, dans l'idéal. Les questions rhétoriques sont à éviter dans ce type de rédaction, dans la mesure où elles laissent transparaître l'expression d'un je déconseillée dans un devoir. Néanmoins, cette copie peut servir d'approche sur ce texte de Francis Ponge, auteur malgré tout peu aisé à commenter. [...]
[...] Ses textes sont en trois dimensions, à la fois signifiants, sonores et visuels. Si Ponge a donc réussi à atteindre cet objectif, il a toutefois échoué dans sa volonté de dire la chose sans le moi. Qu'est-ce que la poésie sinon l'expression d'une sensibilité ? Mais l'auteur ne stagne pas dans l'expression lyrique du moi, il s'en dégage afin d'exprimer la chose d'une nouvelle manière : non pas la chose comme prolongement du moi, mais la chose comme extériorité, vue par moi. [...]
[...] La cuisson révèle le poisson, la vue, l'odeur, l'ouïe : comme un révélateur pour une photographie ; les arêtes deviennent des épées Ainsi, tout est passé au filtre de sa propre personnalité, de sa propre sensibilité au monde. Il n'est plus ici question d'objectivité ou de chose en soi, il est question de perception. Ponge, bien qu'amateur du Littré, vérifiant toujours les mots qu'il choisit afin de garantir une cohérence, ne peut empêcher l'expression d'une humanité, ne peut ôter ou soustraire la chose du regard de l'homme, et plus encore ici, de l'artiste. La poésie de Ponge a donc une volonté particulière, non plus démiurgique, mais cosmogonique ; en écrivant, Francis Ponge bâtit. [...]
[...] On ne peut pas parler d'une volonté démiurgique chez Ponge, tout du moins pas au niveau du sujet, mais bien plus au niveau du langage ; non, il est bien plus question d'une cosmogonie de la chose : expliquer ce qu'elle est, en elle-même, ses origines. Ainsi, on peut parler d'un premier texte, que l'on prendrait au sens le plus explicatif, c'est-à-dire un dimanche ensoleillé au bord de la mer, à table, avec pour mets un plat de poissons frits. [...]
[...] Cela ne va pas sans rappeler l'irrégularité des vagues qui s'échouent inlassablement sur la plage. Mais Ponge va plus loin : avec ces pointillés et ces tirets, ne peut-on pas aller jusqu'à déceler l'écume blanche d'une mer d'azur ? Ainsi, en voulant nous parler de son plat de poissons frits Ponge aborde en même temps le contexte, le cadre, la provenance et la finalité de ces poissons, le tout par un travail sur le visuel, le sonore et le signifiant ; le texte devient un véritable édifice, qui prend tout son sens et sa cohérence dans ses trois dimensions. [...]
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