La notion de réécriture en son sens le plus large est propice à l'analyse et à la compréhension de nombreux poèmes d'Apollinaire qui s'adonne souvent à l'autocitation, comme nous le montre Décaudin dans Dossiers d'Alcools, à la traduction, comme en témoigne le début de L'Enchanteur pourrissant, mais aussi aux collages dans Calligrammes ou aux reprises transformées dans le poème « Arbre » qui contient des réécritures de La prose du transsibérien de Cendrars. Les réécritures apollinariennes sont souvent proches du pastiche par le rapport ironique qu'elles entretiennent avec leur hypotexte, par exemple dans le chapitre saturé de réécritures « Les Théâtres » dans le Poète assassiné.
Les poèmes à Lou en contiennent beaucoup moins. Ils sont en effet écrits de manière souvent spontanée, dans des conditions particulières qui compromettent le recours à un intertexte autre que celui conservé dans la mémoire du poète et ils s'adressent à une interlocutrice peu cultivée qui n'a semble-t-il pas été capable de saisir les allusions complexes au charroi de Nîmes ou à Guillaume le taciturne faites au début de leur correspondance. Les poèmes à Lou ne sauraient du fait de ces trois conditions contenir des réécritures savantes trop nombreuses, d'autant qu'Apollinaire peut nourrir ses poèmes de ses impressions sur le front et de ses sentiments amoureux sans recourir artificiellement à ses anciens vers ou aux œuvres d'autres poètes.
[...] Certains critiques datent ce poème d'avril 1915 car Apollinaire a publié ce poème en novembre 1917 dans la Grande Revue (nº11) avec cette date. Pourtant, un examen attentif des lettres nous permet de supposer qu'il s'agit d'une erreur d'Apollinaire et que ce poème a bien été écrit le 11 mai 1915. En effet, la lettre à Madeleine est datée par erreur du 11 mars 1915 et le poète s'est peut-être souvenu de cette date fausse. De nombreuses allusions nous montrent bien que ce poème a été écrit le jour de l'envoi. [...]
[...] Il transforme Gui en Guy comme pour produire un effet supplémentaire de distanciation. Le poète cherche aussi à décontextualiser ses poèmes, à les sortir de l'intimité. En effet, cette partie du poème contient beaucoup d'éléments qui concernent directement Lou, notamment la mention des plages du chapeau (cf. le calligramme représentant Lou avec son grand chapeau) et des lettres avec le vaguemestre Le nom Gui qui servait à signer les lettres est donc remplacé pour ajouter une dimension supplémentaire entre le poète et son personnage. [...]
[...] Mais la typographie recherchée par Apollinaire délite le deuxième quatrain qui semble tomber en lambeaux, tout comme son amour avec Lou, tout en matérialisant en même temps l'élévation spirituelle signifiée par le dernier vers. Le décalage dans la disposition typographique concourt à repousser à l'infini les limites de l'horizon pour projeter le poète dans le cosmos : Un seul bouleau crépusculaire Pâlit au seuil de l'horizon Où fuit la mesure angulaire Du cœur à l'âme et la raison Le galop bleu des souvenances Traverse les lilas des yeux Et les canons des indolences Tirent mes songes vers les Cieux L'interchangeabilité des cellules poétiques se retrouve, comme en un microcosme, à l'échelle lexicale. [...]
[...] Si la première partie du poème nous a permis d'examiner l'exemple d'une réécriture ignorante, la deuxième partie nous invite à examiner une auto-réécriture par Apollinaire : tout d'abord un simple recopiage puisqu'il envoie le même jour ces deux quatrains à Madeleine et à Louise, puis plus tard une réelle réécriture puisqu'il les fait paraître avec des changements dans Case d'armons puis dans Calligrammes. Ce n'est pas le seul poème adressé à plusieurs correspondantes. On retrouve en effet dans Tendre comme le souvenir des poèmes comme Les Feux du bivouac Tourbillon de mouches ou encore l'Adieu du cavalier qui sont également envoyés à Lou. Ces doubles envois s'expliquent surtout par les conditions de création en temps de guerre. [...]
[...] - Fac-similé du manuscrit autographe de la lettre du 11 mai 1915 in Lettres à Lou (BNF-Richelieu) - Sully Prudhomme, Ici-bas in Stances et poèmes (1865-1866) - Lettre de Lou reçue le 11 mai 1915 par Apollinaire (source : Coligny- Châtillon, Louise de, Six lettres à Guillaume Apollinaire, présentées par le DR O.W.Spice A L'Enseigne de l'arc de Nemrod, 1978). Critiques - Campa, Laurence, Poèmes à Lou d'Apollinaire, Foliothèque - Campa, Laurence, L'esthétique d'Apollinaire, SEDES - Compagnon, Antoine, La Seconde main ou le travail de la citation. Seuil - Debon, Claude : Grappillage et distillation : les modalités de la réécriture dans l'œuvre d'Apollinaire, Que Vlo-Ve ? [...]
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