Victor Hugo, dans la première préface des Orientales exprime sa fascination pour Ali-Pacha (gouverneur de la région de l'Epire pour le compte de l'Empire ottoman), seul homme, selon lui, qui peut être comparé à Bonaparte : comme lui, guerrier, homme de génie, comme lui finalement écrasé par le destin : 'le seul colosse que ce siècle puisse mettre en regard de Bonaparte (…) cet homme de génie turc et tartare à la vérité, cet Ali-Pacha' (Préface). Ali-Pacha n'est pourtant pas un personnage très présent dans les Orientales, mais sa figure est principalement esquissée dans les poèmes XIII et XIV : figure grandiose d'un grand homme dans le poème XIII ('Le derviche'), mais aussi d'un homme maudit et menacé ; la menace semble se réaliser dans le poème XIV 'Le château-fort'.
En effet dans ce poème, composé de cinq strophes, chacune étant formée d'un distique et d'un quatrain, le symbole de la puissance d'Ali-Pacha (le château fort) ne peut rien devant la puissance des éléments : il est peu à peu englouti par la mer. Cependant, ce poème va au-delà d'une simple description, la description d'une forteresse ou d'un paysage (le fort et la mer) pour prendre une dimension véritablement cosmique et symbolique.
[...] Le thème de l'anéantissement d'un monde humain sous l'effet de pluies torrentielles ou d'inondations dévastatrices provoquées par la volonté divine est un thème extrêmement répandu, commun à de nombreuses cultures : le déchaînement de la nature est l'expression de la colère divine qui met fin au comportement mauvais des hommes. Un des plus anciens mythes du déluge est l'épopée de Gilgamesh dans la mythologie mésopotamienne, mais on retrouve ce thème dans la Genèse (le Déluge) ou encore dans la mythologie grecque. Ici, il s'agit bien de punir un criminel. Ali Pacha est brièvement décrit comme un tyran sanguinaire (ce qui correspond à la réputation du personnage, puisqu'il y avait de nombreuses légendes cruelles autour de lui, légendes qu'il diffusait lui- même pour accroître la terreur qu'il inspirait). [...]
[...] La présence du poète du poète est dessinée en creux par les marques de l'énonciation, lorsqu'il s'adresse aux éléments (interjections, apostrophes, questions) ? Or ce je poétique ne décrit pas ce qu'il voit, mais ce qu'il imagine. C'est lui qui par son regard donne vie et sens au paysage. C'est lui qui s'interroge sur le sens de l'agitation des éléments, qui s'étonne. Le poète nous invite ainsi à chercher un sens, au- delà du simple regard sur un paysage, dans l'agitation des éléments. [...]
[...] On peut citer l'interjection Quoi donc ! vers trois qui brise le rythme 6/6 des deux alexandrins précédents, ou encore l'interjection Allons (deuxième strophe) et l'apostrophe O mer (deuxième strophe). La voix poétique et la position du regard évoluent dans le poème : on passe de la vision de celui qui regarde, éloigné (première strophe), à celui qui interpelle les éléments. La distance est abolie, la voix poétique (et donc parallèlement le regard du spectateur) fait véritablement partie du paysage. [...]
[...] Cette grandeur est également crée par les gradations Un jour, un an, un siècle ou les questions rhétoriques pleines de grandeur Que t'importe le temps, ô mer intarissable ? grandeur accentuée par l'apostrophe, le rythme solennel de l'alexandrin classique (césure à l'hémistiche) et l'allitération en : Que t'importe le temps, ô mer intarissable ? On note d'ailleurs dans le poème l'évocation de tout un monde de profondeurs, un monde marin : l'algue aux verts cheveux le lit sombre». L'homme n'est ici qu'éphémère, face à la mer qui est éternelle, l'homme n'est qu'un moment dans le passage du temps. [...]
[...] Le poème montre une évolution : on passe de la grandeur du château fort, puissant, qui déchire la mer, à son engloutissement. Ainsi, la violence est d'abord celle du rocher, violence exprimée par les images aussi bien que les sonorités, comme on peut le voir au vers 4 Que ce roc, dont le pied déchire leurs entrailles : le rejet accentue la dureté des sonorités les éléments d'humanisation pied entrailles traduisent bien ce sentiment de blessure, avec l'insistance des sonorités : allitération en et la tonalité aiguë du verbe déchire Dès la deuxième strophe, cependant, le mouvement de la mer devient plus violent. [...]
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