La lettre 102 est certes un tournant dans le roman puisqu'elle contient l'aveu de l'amour que Mme de Tourvel porte à Valmont, ce qui est finalement l'enjeu et la raison d'être du roman. Mais au contraire d'autres lettres comme celle de la conquête de Valmont, ou encore de rupture, qui sont de véritables coups de tonnerre pour le lecteur, celle-ci n'apporte pas d'éléments narratifs nouveaux puisque le départ précipité de Tourvel est déjà rapporté par les deux lettres précédentes de Valmont à Merteuil et à Azolan. L'intérêt de cette lettre réside donc clairement non dans les faits mais dans le regard que Tourvel portera sur ses propres propos et qui s'exprimera par le biais de son langage. Par ailleurs, on l'a dit, les Liaisons ont des traits communs avec une pièce de théâtre dont celui de pouvoir y déceler la voix du narrateur non pas dans le langage des personnages mais dans leur style (comme le distingue JL Seylaz). C'est donc autant par les propos tenus que par la mise en scène que la Présidente (et bien sûr derrière elle Laclos) se fait de son aveu que l'on peut pénétrer dans la vérité du personnage.
Cet extrait qui est le segment central de la lettre CII présente une double structure selon les deux axes qui viennent d'être évoqués (axe des personnages, axe de l'auteur): sur le plan sémantique, du langage pour Mme de Tourvel et Mme de Rosemonde, 4 parties se détachent, avérées pas le découpage typographique prétendument choisi par Tourvel. Mais du point de vue stylistique, s'impose un autre découpage en 3 temps déterminé par les modulations insidieuses de l'expression de Tourvel, façonnée par le narrateur et repérable notamment par les différents temps et modes employés.
[...] C'est donc à dire qu'il s'agit d'une mise en scène de son aveu, exploitée d'une part par Tourvel pour satisfaire son désir érotique dans l'écriture et d'autre part par Laclos pour éclairer Tourvel de l'intérieur dans ce qui apparaît comme le précurseur du monologue intérieur de Stendhal, instiller dans l'écriture de Tourvel un peu d'argumentation et de rhétorique, et lui faire ainsi gagner en intelligence. Cette lettre 102 est donc un point tournant du roman parce qu'elle est le moment où l'héroïne devient elle-même selon le mot de Giraudoux par perte de contrôle progressive de son langage, submersion par le style tragique qui annonce la fin tragique du couple Valmont-Tourvel pour aboutir au chant de la passion (JLSeylaz) seul moment de félicité absolue du roman. [...]
[...] Cette dichotomie est reprise par l'opposition vertu/sagesse où cette dernière est l'ultime recours de la raison affaiblie afin de surmonter l'influence des sentiments quitte à mener à la mort. Cette menace funeste et là aussi très racinienne fait écho à celle qu'elle annonce à Valmont à la fin de la lettre 78 : si jamais je me trouvais réduite à ce choix malheureux de les sacrifier [noeuds] ou de me sacrifier moi-même, je ne balancerais pas un seul instant C'est donc à dire que Tourvel estime moins raisonnable de céder à la passion et de vivre coupable que de lui concéder son existence. [...]
[...] Son engagement ferme par l'impératif et le futur d'injonction employés recevez-en je le supporterai j'en aurai alors qu'elle aurait toutefois pu dire j'en ai le courage puisque la rédaction de la lettre se situe au moment du départ. Ce futur qui se veut très ferme et définitif est donc finalement assez flou et repousse le début du calvaire à plus tard, en rendant ainsi encore possible l'option de rester auprès de lui exprimé pour être immédiatement réfuté, mais exprimé quand même. Enfin, l'utilisation de Mme de Rosemonde comme réceptacle et directeur de conscience prouve bien l'incertitude dans laquelle Tourvel se trouve malgré ses résolutions. [...]
[...] Commentaire continu 1er mouvement (l.1 à : Cet extrait étant le segment central de la lettre que Mme Tourvel laisse à Mme de Rosemonde pour lui expliquer son départ, les deux paragraphes qui le précèdent sont des excuses et précautions oratoires destinées à ménager la surprise de Rosemonde, et à reculer le moment de l'aveu pour Mme Tourvel. Ces deux intentions sont condensées dans la question rhétorique liminaire que vous dirai-je enfin? dont le futur fait écho avec tout le futur des deux paragraphes précédents qui ne servent qu'à préparer les deux épistolières à l'aveu et à créer un effet d'attente. La brièveté de la question incisive et l'adverbe enfin marque le terme de ce long préambule, assimilé à un égarement. [...]
[...] La lettre 102 est certes un tournant dans le roman puisqu'elle contient l'aveu de l'amour que Mme de Tourvel porte à Valmont, ce qui est finalement l'enjeu et la raison d'être du roman. Mais au contraire d'autres lettres comme celle de la conquête de Valmont, ou encore de rupture, qui sont de véritables coups de tonnerre pour le lecteur, celle-ci n'apporte pas d'éléments narratifs nouveaux puisque le départ précipité de Tourvel est déjà rapporté par les deux lettres précédentes de Valmont à Merteuil et à Azolan. [...]
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