En lisant "Le philosophe anglais, ou histoire de M. Cleveland" de l'Abbé Prévost, le lecteur est surpris de l'abondance d'événements invraisemblables : enfance du héros dans une caverne, vie chez les sauvages d'Amérique, enlèvements, retrouvailles… Néanmoins, malgré son esprit critique qui le pousse à ne considérer ces aventures que comme pure fantaisie, il poursuit sa lecture, comme entraîné malgré lui, au point qu'un lecteur illustre du roman, Jean-Jacques Rousseau, a écrit : « La lecture des malheurs imaginaires de Cleveland, faite avec fureur, m'a fait faire, je crois, plus de mauvais sang que pour les miens ».
Le caractère invraisemblable de leurs écrits a souvent été reproché aux romanciers des XVIIe et XVIIIe siècles, et à Prévost en particulier. Le critique Henri Coulet justifie la présence de l'invraisemblable dans les romans de l'abbé : c'est, déclare-t-il, « le climat naturel des romans de Prévost ». Coulet précise son propos en ajoutant : « Qui ne connaît de la vie que ce que tout le monde peut en connaître ne connaît pas la vie ; la condition humaine n'est essentiellement vécue que par un des Grieux ou un Cleveland ». Nous avons là un paradoxal éloge de l'invraisemblance : non seulement défendue comme relevant de la tradition romanesque, elle l'est aussi comme révélant la vérité du réel.
Comment l'invraisemblable peut-il révéler la vérité ? Comment admettre que l'invraisemblable, c'est-à-dire ce qui par définition sort de l'ordinaire et ne semble pas vrai, puisse avoir un pouvoir de révélation du vrai ?
[...] Mais faut-il s'étonner de ce climat d'invraisemblance ? La vraisemblance est-elle vraiment le souci de Prévost ? II- Le souci essentiel de Prévost est-il de respecter la vraisemblance ? Si Prévost n'a pas souci de la vraisemblance des événements dans leur ensemble, il manifeste un grand souci de vraisemblance et de vérité dans les détails. Les deux exemples de la scène où Cleveland se perd et celle de la tempête où il sauve Fanny nous donnent l'impression qu'il s'agit d'épisodes écrits juste pour captiver, sans souci pour la vraisemblance, mais dans le même temps Prévost prend appui à chaque fois sur un objet pour assurer la vérité. [...]
[...] Mme Riding a été à la fois amie de Mally Bridge et d'Elizabeth Cleveland : ce genre de coïncidences arrange bien l'auteur. Outre la multiplicité des rebondissements, c'est leur degré qui est invraisemblable, car trop exagéré : la mauvaise fortune de Cleveland, qui affronte sans cesse désastres naturels (à l'instar de la tempête) et malheurs humains, semble particulièrement excessive par rapport à l'humanité ordinaire qui n'enchaîne que très rarement de tels maux. Tous ces évènements sont à rapprocher des topoïs romanesques ; on a là des exemples de ce que Voltaire plus tard tournera en caricature dans Candide. [...]
[...] "Le philosophe anglais, ou histoire de M. Cleveland", l'Abbé Prévost (1739) Sujet : Commentez et discutez à propos de Cleveland ces remarques d'Henri Coulet : L'invraisemblance est ( ) le climat naturel des romans de Prévost ; la lui reprocher serait méconnaître une des traditions les plus constantes du genre romanesque ; étrange, saisissant, paroxystique, l'invraisemblable est pris dans la trame du quotidien, il est la vérité intime du réel et le mode d'existence d'individus uniques», mais exemplaires. Qui ne connaît de la vie que ce que tout le monde peut en connaître ne connaît pas la vie ; la condition humaine n'est essentiellement vécue que par un Des Grieux ou un Cleveland Introduction En lisant Cleveland, le lecteur est surpris de l'abondance d'événements invraisemblables : enfance du héros dans une caverne, vie chez les sauvages d'Amérique, enlèvements, retrouvailles Néanmoins, malgré son esprit critique qui le pousse à ne considérer ces aventures que comme pure fantaisie, il poursuit sa lecture, comme entraîné malgré lui, au point qu'un lecteur illustre du roman, Jean-Jacques Rousseau, a écrit : La lecture des malheurs imaginaires de Cleveland, faite avec fureur, m'a fait faire, je crois, plus de mauvais sang que pour les miens Le caractère invraisemblable de leurs écrits a souvent été reproché aux romanciers des XVIIe et XVIIIe siècles, et à Prévost en particulier. [...]
[...] Cependant, ce qui importe pour lui c'est moins la vraisemblance que la possibilité de faire se succéder un certain nombre d'expériences grâce auxquelles il peut soulever des questions philosophiques. Il s'assure moins de faire sentir comme vrais les enchaînements des événements que de permettre à son héros d'éprouver des interrogations philosophiques : l'homme peut-il vivre seul ? (Cleveland a besoin de quelqu'un à la mort de sa mère, tout en accumulant les déboires lorsqu'il vit en société) ; quelle est la force de la philosophie face aux événements de la vie ? ; un pouvoir politique doit-il, peut-il, tout prévoir, tout organiser ? [...]
[...] Très vite, en effet, nous nous éloignons de cette réalité historique précise et nous voyons l'auteur prendre un certain nombre de libertés. On pourrait s'interroger sur la façon dont Prévost tend à s'éloigner du personnage historique réel de Cromwell pour faire de celui-ci une figure incarnant le mal, déplaçant ainsi une réalité historique vers le romanesque. Il est invraisemblable qu'Élisabeth Cleveland ait été la maîtresse successive de Charles Ier et de Cromwell. De la même façon, les rebondissements incessants que connaît Cleveland ne se conforment pas à l'idée que le lecteur se fait du possible d'après son expérience de la vie. [...]
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