Jean-Paul Sartre affirme dans Qu'est-ce que la littérature ?: la poésie « ne se sert pas des mots comme la prose ; et même elle ne s'en sert pas du tout ; je dirais plutôt qu'elle les sert […]. Et comme le poète n'utilise pas le mot, il ne choisit pas entre des acceptations diverses et chacune d'elle […] se fond sous ses yeux avec les autres acceptations […]. Florence est ville et fleur et femme, elle est ville-fleur et ville-femme et fille-fleur tout à la fois ».
L'auteur du recueil de poèmes que vous avez étudié cette année vous semble-t-il avoir cette attitude face aux mots ? Vous vous appuierez sur des références précises.
Jean-Pierre Renard donne sa définition de la poésie en ces termes: « [elle] ne donne que des mots, mais elle les livre avec le mystère qui est en eux ». Jean-Paul Sartre explicite ici la même opinion en affirmant que le poète a une attitude différente de celle du prosateur face aux mots: il « sert» les mots au lieu de s'en servir, « il ne choisit pas entre des acceptions diverses et chacune d'elles [...] se fond sous ses yeux avec les autres acceptions ». Peut-on dire que dans le recueil que nous avons étudié cette année, Alcools d'Apollinaire, l'auteur s'est mis au service des mots en respectant leur polysémie? Peut-on penser qu'il refuse vraiment de les utiliser pour leur signifiant ou de faire un choix dans les signifiés? C'est ce que nous allons examiner.
[...] ] On pourrait aussi relever le jeu justifié appelé par le mot plus que par le contexte: dans les vers cités, on retrouve à la rime la neige li et la question que n'ai-je Dans Pont Mirabeau le pont devient la métonymie du lien amoureux, tout en gardant dans la métaphore filée sa dénotation usuelle: «Les mains dans les mains restons face à face/Tandis que sous/Le pont de nos bras passe/Des éternels regards l'onde si lasse On pourrait voir aussi dans la strophe suivante que le mot habituellement simple outil grammatical de comparaison ou d'exclamation, accède à un statut poétique dans l'hésitation grammaticale qui rapproche ces deux emplois: l'amour s'en va comme cette eau courante/l'amour s'en va/Comme la vie est lente/Et comme l'Espérance est violente Le traitement poétique du mot comme» n'est pas moins intéressant que le parallélisme sonore doublé de l'antithèse sémantique entre vie est lente» et violente On voit donc que, pour le poète, aucun mot n'est seulement un outil: ils ont tous la même noblesse et leur polysémie est extrêmement présente dans le recueil Alcools. [Le choix du sens et du son nécessaire pour créer l'émotion poétique] Néanmoins, peut-on dire pour autant que le poète ne les utilise» pas, qu'il ne choisisse pas le sens qu'il privilégie? La phrase de Sartre semble à ce titre bien excessive et appelle des nuances. Sinon, le meilleur des poètes serait alors le plus complet des dictionnaires dont on superposerait les définitions par ignorance ou par jeu. [...]
[...] Le verbe aimer, répété deux fois, offre également un écho au prénom Marie dont il est l'anagramme, écho imperceptible en dehors du contexte poétique. Le souci majeur d'Apollinaire est également de préserver la polysémie des mots. Il est ainsi le premier à choisir de supprimer la ponctuation, créant des hésitations nouvelles sur le sens. Dans le poème Marie on peut citer une strophe remarquable de ce point de vue: Les brebis s'en vont dans la neige/Flocons de laine et ceux d'argent/Des soldats passent et que n'ai-je/Un cœur à moi ce cœur changeant/ [ . [...]
[...] Peut-on dire que dans Alcools d'Apollinaire, l'auteur s'est mis au service des mots en respectant leur polysémie ? Dissertation de Français Jean-Paul Sartre affirme dans Qu'est-ce que la littérature la poésie ne se sert pas des mots comme la prose ; et même elle ne s'en sert pas du tout ; je dirais plutôt qu'elle les sert [ Et comme le poète n'utilise pas le mot, il ne choisit pas entre des acceptations diverses et chacune d'elle [ ] se fond sous ses yeux avec les autres acceptations [ Florence est ville et fleur et femme, elle est ville-fleur et ville-femme et fille- fleur tout à la fois L'auteur du recueil de poèmes que vous avez étudié cette année vous semble- t-il avoir cette attitude face aux mots ? [...]
[...] On retrouve souvent cet effet de nomination répétitive dans d'autres poèmes comme les Rhénanes»: dans Nuit rhénane», Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent; dans mai le joli mai en barque sur le Rhin/ [ . Le mai le joli mai a paré les ruines»; dans La Loreley le poète interpelle ou nomme le personnage dans un grand nombre de distiques en ces termes: Ô belle Loreley», La Loreley», Loreley la belle Loreley et joue sur la forme abrégée Lore», aux assonances plus familières pour notre oreille: Va-t-en Lore en folie, va Lore aux yeux tremblants Se mettre au service du nom et du mot peut aussi se faire à l'encontre de la logique habituelle du langage. [...]
[...] Loin de servir le mot, Apollinaire ne lui fait alors pas confiance et fait appel à l'art figuratif du dessin. [Conclusion] Nous avons donc vu que si le poète redonne en général au mot la puissance qu'il perd dans l'usage commun de la prose et du langage, il n'en est pas moins un utilisateur, un manipulateur de mots. Le mot est son matériau, comme le marbre ou la glaise sont ceux du sculpteur. L'étymologie grecque du mot poète nous renvoie d'ailleurs à une idée commune et humble de fabrication Borgès, dans son récit La Tour de Babel, nous rappelle judicieusement que tout est déjà écrit dans la bibliothèque du monde. [...]
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