La vieillesse, avec ses drames, sa solitude, est un sujet rarement abordé par la poésie traditionnelle. Celle-ci se tourne plutôt vers la beauté « classique », l'épanouissement de la maturité physique ; elle préfère les hommes et les femmes en bonne santé, sur le malheur desquels, le lecteur, peut-être, s'apitoiera davantage.
Ce n'est pas une des moindres originalités de Baudelaire de s'intéresser aux exclus, aux marginaux, aux oubliés de la vie : pauvres et miséreux en tout genre, comme le « Désespoir de la Vieille » publié dans le Spleen de Paris ou ces « Petites Vieilles ».
Publié en 1859 dans la Revue contemporaine avec « Les Sept Vieillards » sous le titre de Fantômes parisiens, et tous deux dédiés à Victor Hugo, le poème « Les Petites Vieilles » sera intégré deux ans plus tard dans la seconde édition des Fleurs du Mal et prendra place dans la nouvelle section qui apparaît alors, Tableaux parisiens.
[...] Il est chétif, maigre comme ces petites vieilles. Dans la seconde strophe, la symétrie des insultes, soulignée par le chiasme : un ivrogne et un enfant rappelle le déchaînement des hommes d'équipage contre l'albatros La misère rapproche tous ces êtres faits pour vivre ailleurs, peut-être hors du monde ? La société contemporaine ne saurait les satisfaire. Ils sont tous issus de la même race, dont il ne subsiste que des ruines Est-ce une allusion au déclin de l'aristocratie remplacée par la bourgeoisie ? [...]
[...] Images vivantes de la décrépitude vivante comme le révèle le vocabulaire de la troisième strophe, les vieilles sont aussi, pour qui sait les voir, le témoignage glorieux d'un passé merveilleux, plein de vie et de force. Elles sont maintenant ignorées, elles furent cependant, pour des raisons diverses courtisanes ou Saintes les phares de leur époque. Ce sont ces aspects des vieilles que le poète seul est capable de percevoir. Le terme de passions novices »montre qu'il sait retrouver leur jeunesse. III/ Le regard du poète Un regard attendri Réprouvé et maudit, le poète est aussi. Il est incompris par des êtres qui le méprisent. [...]
[...] Le second vers rappelle le début de à une passante : la rue assourdissante autour de moi hurlait Même cacophonie, même indistinction : la rue ou ici le chaos Le lieu n'est pas précisé. Sa valeur est allégorique comme le souligne le pluriel : les vivantes cités L'hyperurbanisation et ses conséquences C'est l'image même de toute société industrielle, hyperurbanisée. La lourdeur des vers, régulièrement rythmés, traduit le dégoût pour un tel type société : à travers / le chaos des vivants/ tes cités Le monde moderne est prisonnier du présent. Il est soumis aux impératifs du progrès, du matérialisme. Ce monde-là ignore les valeurs spirituelles, il dédaigne l'art. [...]
[...] C'est sans doute à l'occasion de sa flânerie à travers la Paris que Baudelaire croise ces Petites Vieilles L'urbanisme fait apparaître des villes énormes et nouvelles dans la seconde moitié du XIXe siècle comme ce nouveau Paris que le baron Haussmann fait sortir de terre, après avoir préalablement détruit le vieux Paris. Mais ce vieux Paris n'a pas encore complètement disparu. Il en reste des ruines. Les Petites Vieilles sont les témoins de cet ancien urbanisme de Paris et lui survivent. [...]
[...] II/ Des femmes symboliques Des femmes au visage double Que symbolisent ces vieilles ? Elles symbolisent le mal autant que le bien, comme le montrent les antithèses : courtisanes / saintes et jours sombres / lumineux Elles représentent le déferlement des passions, l'inquiétude ardente de la vie, bref tout ce qu'ignorent les bourgeois le juste milieu. Les rimes croisées permettent de rapprocher, dans l'avant-dernier quatrain, les contraires qui finissent par se confondre dans une unité profonde : tous vos vices / toutes vos vertus Cela rappelle les derniers vers du recueil : enfer ou ciel, qu'importe ? [...]
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