la Peste, Albert Camus, incipit, Oran, Algérie
Problématique : En quoi cet incipit est-il original ?
Un début de roman doit répondre à deux exigences fondamentales : informer le lecteur (cadre spatio-temporel, personnages, intrigue,...) et le séduire pour l'inciter à la poursuite de la lecture. On verra, dans un premier temps, en quoi cet incipit répond de manière plutôt classique à ces exigences. Nous verrons ensuite ce qu'il a d'original.
[...] 27) l'expression frénétique et absent est révélatrice : frénétique renvoie à une vie faussement remplie, à l'agitation des villes modernes qui agit comme un véritable divertissement au sens pascalien du terme (cf. philosophe Pascal = ensemble des occupations qui détournent l'homme des problèmes que pose sa propre condition) absent renvoie au maque de réflexion sur sa condition humaine et son aspect tragique (prise de conscience de sa propre finitude cf. Montaigne Philosopher, c'est apprendre à mourir leur conformisme (tous se ressemblent, pratiquent les même activités, ont les même loisirs et plaisirs) : notez l'usage du pronom on et ils qui présente les oranais comme une masse indifférenciée, notez l'adjectif même dans ils se promènent sur le même boulevard même leurs plaisirs, leurs joies sont convenues, préfabriquées (réservés au samedi soir et au dimanche jusqu'à leurs passions et vices qui n'ont aucun éclat, aucune fantaisie (notez le prosaïsme de l'association des termes femmes / cinéma / bains de mer mis sur le même plan). [...]
[...] Notez le décalage entre la force du mot vice et sa réalité dans la ville association de boulomanes banquets des amicales cercle de jeu) au total, c'est donc le spectacle d'hommes communs sans aucune grandeur L'action Notez le mécanisme de séduction à l'œuvre dans le début de ce roman : la banalité du lieu et des personnages ordinaires s'oppose à une intrigue présentée comme extraordinaire : curieux événements sortant un peu de l'ordinaire mais le narrateur ne donne pas plus d'informations, cultivant ici le suspense pour aiguiser l'intérêt du lecteur Le mystère provient aussi du narrateur qui reste anonyme (usage du pronom on : le lecteur s'interroge donc sur l'identité du narrateur qui semble se présenter comme le témoin de faits qui se sont réellement produits. II) L'originalité de ce début de roman Le statut du narrateur On peut hésiter sur le statut du narrateur : un regard de témoin ou un regard critique ? Un témoin on notera les éléments suivants Terme de chronique (=récit chronologique d'événement réels dont le narrateur a été témoin) Désigné par un pronom on anonyme qui peut être identifié à chacun des habitants d'Oran (cf. [...]
[...] volonté de ne pas indiquer une datation plus précise mais le lecteur fait aisément le rapprochement avec la 2de guerre mondiale le lieu : la ville d'Oran en Algérie (qui est encore une colonie française à cette époque) ancrage référentiel (notez que Camus a séjourné à Oran en 1941) : le cadre est posé d'emblée comme réel, ce que renforce le terme de chronique récit chronologique d'événement réels dont le narrateur a été témoin) il s'agit donc un environnement urbain contemporain On notera plusieurs éléments importants mis en avant dans la description de cette ville description dévalorisante l'aspect banal de la ville (adjectif ordinaire répété deux fois l.4 et adjectif neutre l (=sans relief, sans attrait) usage répété du déterminant indéfini une ville l une préfecture française L'aspect commun et insignifiant de la ville est renforcé par la négation rien de plus qu'une préfecture (l.5) et sa ressemblance extrême avec tant d'autres villes [ . ] sous toutes les latitudes (présence des adverbes tant et toutes) la laideur de cette cité La cité elle-même, on doit l'avouer, est laide. l.7 : la brièveté/brutalité de la phrase et le rejet de l'adjectif à la fin de la phrase par l'incise ont ici valeur d'insistance. [...]
[...] Nous verrons ensuite ce qu'il a d'original. Un incipit de facture plutôt classique qui répond à une l'exigence d'information et de séduction Cet incipit semble, à première vue, répondre de manière plutôt traditionnelle aux attentes du lecteur en matière de première page en définissant un cadre plutôt réaliste. Le cadre spatio-temporel : présenté d'emblée dès les premières lignes la date : les années 40 194. [...]
[...] plus l.20, ne . que l.14 et seulement par l.15 un univers urbain inhospitalier, inconfortable, inhumain : presque inconcevable, inimaginable (question oratoire l.10 à 13) d'où la nature est totalement absente (pas d'autre forme de vie donc que l'homme, pas d'harmonie avec la nature, pas de consolations liées à la nature repli sur une humanité isolée et matérielle) ou alors synonyme de destruction, de ravages quand elle se manifeste lexique négatif lié à la chaleur excessive : verbe incendie l.18 qui connote la destruction, adverbe trop dans l'expression trop sèches cendre grise qui évoque la mort, l'aspect terne des choses lexique négatif déluge de boue : expression hyperbolique tout va dans l'excès négatif renforcement par l'antithèse beaux jours / seulement en hiver un univers qui semble figé/englué dans le temps uniformité des saisons d'où la vraie vie semble absente (le printemps est ramené au prosaïsme matériel de la vente (l.17), l'été enferme les hommes dans l'enceinte de leurs volets clos l l'automne cataclysmique : déluge de boue la boue évoquant l'informe, la saleté ) Les personnages : présentés de manière très péjorative, ils se caractérisent par : leur matérialisme (fondé sur le profit, sur la valeur argent) : on notera un champ lexical important se rapportant à l'argent, au commerce : villes commerçantes l.9, vendeurs l.15, vend / marché l.17, s'enrichir l.29, commerce / affaires l.30/31, gagner beaucoup d'argent l toute leur vie se résume à une dimension prosaïque (bassement matérielle et vulgaire) : expression péjorative tout cela l.26 qui met sur le même plan d'égalité travail, amour et mort (l24/25 comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt) : remarquez que toute dimension métaphysique ou spirituelle est absente : les oranais vivent leur vie routinière, machinale (expressions prendre des habitudes l.28, heure fixe l.) sans la moindre réflexion sur le sens de leur vie, sur le sens de leurs actions on s'y ennuie l. [...]
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