Durant le dernier tiers du XXe siècle, deux sortes de poésie ont coexisté : l'une cherche le sentiment de la présence dans le paysage élémentaire, l'autre valorise la ville, le politique, l'histoire, la circonstance, l'accidentel et l'aléatoire. Chez Jaccottet ou Bonnefoy, l'expérience poétique a pour vocation d'établir un lien entre l'éphémère et l'éternel. Ainsi, Leçons est la première section d'A la lumière d'hiver, composée de vingt-trois poèmes alliant le ton sentencieux de l'Ignorant et l'évidence naïve d'Airs. Leçons hésite entre le vers régulier et le vers libre, oscille entre la forme longue et la forme brève et le poète tire profit de la mort et de la dépossession, mû par l'espérance. Il n'entend pas se retourner avec tristesse vers le passé et se désespérer du passage du temps. Il considère la finitude pour y déterminer une conduite et non pas pour en entendre le regret. Secrètement miné par le regret et la perte, Jaccottet est parfois tenté par le désespoir du "Maître", personnage de L'Obscurité.
Mais, loin de la complaisance morbide, sa conscience de la mort doit engager le poète dans la voie d'une vie plus ardente et plus noble. Dans cette section, le poète erre au sein de la nature, au seuil de l'invisible, désormais séparé du passé et prêt à accomplir son parcours initiatique. Puisque le mot leçon vient du latin lectio signifiant lecture, on comprend que le poète se fait lecteur du réel et de ses douleurs pour mieux se lire lui-même. Or, leçon peut être entendu au sens d'enseignement. Dès lors le je lyrique est-il l'enseignant, l'élève ou connaît-il une métamorphose ?
[...] Tel est le monde. Nous ne le voyons pas très longtemps : juste assez pour en garder ce qui scintille et va s'éteindre, pour appeler encore et encore, et trembler de ne plus voir. Ainsi s'applique l'appauvri, comme un homme à genoux qu'on verrait s'efforcer contre le vent de rassembler son maigre feu . Ce poème, antérieur à Leçons, illustre véritablement la poétique de Jaccottet telle que nous venons de la décrire. Nous retrouvons, en effet, la lutte contre les ténèbres et l'oubli. [...]
[...] Bibliographie À la lumière d'hiver, Philippe Jaccottet, éditions Poésie Gallimard De la poésie, Philippe Jaccottet, éditions du Seuil Poésie et A la lumière d'hiver, commenté par Christine Bénévent, Foliothèque, éditions Gallimard Onze études sur la poésie moderne, Jean-Pierre Richard, éditions Points (p315 à 339) Du lyrisme, Jean-Michel Maulpoix, éditions Corti (p339-340 et p344- 345) Adieux aux poèmes, Jean-Michel Maulpoix, éditions Corti (p310 à 321) La poétique de l'espace dans l'œuvre de Philippe Jaccottet, Mémoire de licence présenté par Damien Berdot, sous la direction de Peter Schnyder La littérature française: dynamique et histoire (tome section sur le XXè siècle par Antoine Compagnon, chapitre IX, éditions Folio Essais (p723 à 748) Sites internet http://noesis.revues.org/document25.html http://www.maulpoix.net/ http://www.lettres-et-arts.net/techniques/49 http://new.monaco.net/communiques/2003063001.htm http://www.arches.ro/revue/no04/no4art04.htm Comme chez Nietzsche la légèreté est vertu aérienne, celle de l'oiseau est de fragilité, dans Le secret (Poésie 1947-1967) : Fragile est le trésor des oiseaux. Toutefois puisse-t-il scintiller toujours dans la lumière ! Jusqu'à ce que, plus loin dans le même recueil, cette légèreté s'empare du monde même : M'étant penché en cette nuit à la fenêtre, Je vis que le monde était devenu léger. [...]
[...] La présence d'une pulsion de mort au-dedans de soi scandalise la raison. D'où d'incessantes incantations. Leçons, est le fruit d'une expérience de la mort, non plus seulement, de la mort à la troisième personne (au sens de Jankélévitch), mais la mort à la deuxième personne celle d'un proche, expérience qui préfigure la déchirure ultime, celle de notre propre mort. Le deuil n'est pas la seule forme d'absence. Le paysage au milieu duquel se meut le poète a été déserté par les dieux. [...]
[...] Or, leçon peut-être entendue au sens d'enseignement. Dès lors le je lyrique est-il l'enseignant, l'élève ou connaît-il une métamorphose ? I. Une poétique de la continuité et de la discontinuité Leçons fait figure de premier seuil au sein de l'œuvre prise dans son ensemble. Celle-ci témoigne que le travail du poète est à la fois continu, homogène dans le temps et qu'il procède par séquences successives pour constituer les étapes d'un parcours toujours aux prises avec les mêmes questions et enjeux Tissage métaphorique La continuité est tout d'abord établie par des thèmes constants, notamment la nature. [...]
[...] L'absence se manifeste une dernière fois dans la disparition des compagnons en littérature du poète. Ainsi tout renvoie Jaccottet au passé, à la mort. L'artiste dont la mort l'a le plus affecté est sans aucun doute Gustave Roud, son modèle littéraire. L'Obscurité rapporte cette expérience de la séparation. On y voit un maître devenu un mort vivant, plein d'un pessimisme effroyable. Mais le disciple refuse ces leçons de désespérance et se résout à suivre son propre chemin, échappant par là même au vertige, à l'épouvante de la mort. [...]
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