Dans « Femme et chatte », pièce tirée des Poèmes saturniens, Paul Verlaine, poète symboliste de la fin du XIXe siècle, peint le tableau, apparemment anodin, d'un jeu entre une femme et un félin, scène qui le séduit d'abord jusqu'à ce qu'apparaisse un personnage inquiétant. Le court sonnet, composé d'octosyllabes, est essentiellement descriptif : il fixe un moment dans un passé indéfini où sont présentées deux figures féminines à la fois attirantes et menaçantes, surtout quand l'imprécision de la description crée une atmosphère fantastique. Le poète, placé en observateur à l'entrée de la pièce où évoluent les deux personnages, est incontestablement fasciné. Cependant la femme et la chatte sont dangereuses : et si la tentation amoureuse n'était finalement qu'un piège démoniaque ? Nous allons étudier avec quelle subtilité le poème fait hésiter le lecteur entre séduction, malaise et diabolisation.
[...] Voilà sans doute pourquoi il l'invective soudainement : la scélérate ! Le mot, proche de l'injure par le ton, est mis en relief par sa place à la rime, par la rupture de construction que l'exclamation entraîne, par la ponctuation enfin ; l'étymologie du mot (scelus, en latin, signifie crime mauvaise action meurtre confirme en outre l'intention mauvaise que Verlaine attribue à la femme, capable de commettre un crime. De plus, les armes que le poète a entr'aperçues sont prêtes à servir : celle de l'animal est acérée et les ongles de la femme sont coupants et clairs comme un rasoir La comparaison suggère un crime sanglant, spectacle toujours impressionnant. [...]
[...] C'est bien l'image que Verlaine donne ici du félin. L'hypocrisie de la chatte, qui fai(t) la sucrée est mise en évidence par le choix du verbe et par la sensation gustative a priori agréable. Ces manières mielleuses, doucereuses, sont d'ailleurs celles de la femme. L'adverbe aussi souvent anodin, prend ici toute sa valeur : il souligne la similitude des deux comportements, pareillement inquiétants, d'autant qu'ils sont placés sous le signe du diable La femme et la chatte agissent avec un tel mimétisme qu'il est presque possible de les confondre : sources d'une même fascination, elles exercent le même pouvoir inquiétant et la même capacité de ruse. [...]
[...] Et les jeux auxquels se livrent la femme et la chatte sont-ils innocents ? Ne relèvent-ils pas plutôt de la provocation ? Le verbe s'ébattre qui précise la nature de leurs jeux, appartient bel et bien au domaine érotique. Les deux figures féminines de cette scène sont donc confondues dans une même fascination. L'envoûtement que subit le poète trouve son origine dans l'innocence sensuelle que la femme et la chatte paraissent jouer, source d'un charme troublant qui n'est pas sans danger. [...]
[...] Elle cachait la scélérate ! Sous ses mitaines de fils noirs De meurtriers ongles d'agate Coupants et clairs comme un rasoir. L'autre aussi faisait la sucrée et rentrait sa griffe acérée Mais le diable n'y perdait rien Et dans le boudoir où, sonore, Tintait son rire aérien Brillaient quatre points de phosphore Paul Verlaine, Poèmes saturniens (1866) Commentaire littéraire Dans Femme et chatte pièce tirée des Poèmes saturniens, Paul Verlaine, poète symboliste de la fin du XIXème siècle, peint le tableau, apparemment anodin, d'un jeu entre une femme et un félin, scène qui le séduit d'abord jusqu'à ce qu'apparaisse un personnage inquiétant. [...]
[...] L'inquiétude laisse alors la place à l'épouvante : les quatre points de phosphore qui luisent dans l'obscurité, suggèrent la naissance d'un être fantastique, luciférien au sens étymologique (c'est- à-dire porteur de lumière créé par la fusion quasi alchimique de deux personnages en un seul. Et le poète, jusqu'à présent spectateur, semble maintenant devenu étrangement l'objet de ce terrible regard. La femme et la chatte seraient donc les alliés du diable ; c'est souvent ainsi que la culture occidentale véhicule leur image. [...]
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