« La fonction de l'artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier, et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. » C'est en quelque sorte ce que fait l'auteur de cette phrase, Francis Ponge, dans son recueil poétique "Le parti-pris des choses". Publié en 1942, celui-ci a pour finalité de faire redécouvrir des objets communs et, à première vue sans intérêt, d'écrire des textes qui explorent autant les particularités de l'objet que celles de l'écriture.
Ainsi, Ponge consacre un poème à un élément prosaïque de notre alimentation, à savoir : l'orange. C'est précisément la description métaphorique à double sens qu'il en propose qui permet de dépasser la banalité apparente du sujet. Au premier abord, c'est une description réaliste à visée didactique qui se distingue, mais, moins expressément, apparaît l'idée selon laquelle l'orange, personnifiée, permet au poète de s'engager.
[...] Ils s'apprêtent à devenir des arbres fruitiers qui produiront de multiples oranges. Dans ce sens, Jésus Christ, au-delà du mythe de la résurrection, a fait émaner de sa mort de nombreux fidèles. Ponge pousse très loin l'élévation qu'il veut offrir à son sujet. Il appuie ses arguments sur les outils linguistiques que lui procure la poèsie puisque c'est au moyen d'une métaphore, entre autres, que se transmet sa vision de l'orange. Le réalisme de départ du poème apparaît, par la visée didactique, comme une illusion d'optique pour rassurer le lecteur, que le sens ne lui paraisse pas trop étranger. [...]
[...] Il convient alors de se demander quelle nouvelle vision de l'orange Ponge nous propose-t-il? Le poète semble vouloir élever le fruit au rang du sacré. En plus de souligner son caractère précieux par l'oxymore liquide d'ambre l'auteur place l'orange en martyre dans, selon toute vraisemblance, une métaphore filée avec le Christ. Comme lui, l'orange endure des souffrances avant sa mort (dans la personnification qu'en fait Ponge). Cette image se dégage par l'emploi des termes subi sacrifice (v.15), oppresseur (v.16), bourreau (v.19), explosion (v.37). [...]
[...] On peut le percevoir comme un hommage aux resistants de France, en plus de la dénonciation de l'immoralisme de la collaboration avec l'ennemi. En résumé, le poème de Francis Ponge s'inscrit dans les textes historiques. Il se sert de son art pour transmettre un message politique, enfoui sous la beauté du langage, du maniement des mots. L'orange apparaît, au terme de cette analyse, comme un poème paradoxal. D'une part, sa visée didactique le place dans un contexte presque enfantin, naïf. D'autre part, de l'engagement du poète se dégage un aspect dramatique, presque tragique. [...]
[...] Le poète va jusqu'à la qualifierde muscle [qui se] remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale (v.13) et ignoble» (v.14). Au contraire, l'orange se sacrifie pour libérer ses pépins qui sont l'illustration de la résistance. C'est le fruit que l'on veut éliminer (la France s'approprier, et par là, voir disparaître en tant qu'Etat indépendant). Or, les pépins constituent l'essence de plusieurs dizaines d'oranges. En cela, ils sont une source d'espérance, de victoire; et par synecdoque, l'orange contient l'avenir. Malgré leur taille minuscule (v.34), ces pépins ont en eux une force, une dureté relative (v.40). [...]
[...] La troisième aborde l'ingestion du jus d'orange. La quatrième décrit la peau de l'orange; et la dernière strophe se penche sur les pépins. Ainsi est-il possible de se représenter cette scène en tant que lecteur: le consommateur de l'orange, l'oppresseur épluche le fruit, quelques pépins tombent, un peu de jus coule, son odeur se répend; il mange l'aliment, prend la peau pour aller la jeter, et enfin, seuls restent les pépins qui serviront à une prochaine plantation. Plus qu'un réalisme, la progression du poème comporte une logique. [...]
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