En 1946 déjà Gaétan Picon définissant ainsi le recueil de "Paroles" : "poésie de vigilance, de défense de l'homme, s'il n'en est pas agressive, il n'en est pas plus généreuse". C'est probablement sur cette remarque que reviennent Pierre Brunel et ses collaborateurs lorsqu'ils présentent Prévert comme "un auteur qui a rendu la poésie à sa fonction élémentaire de Paroles exprimant sans détour les sentiments les plus simples et les plus universels : colère, mélancolie, tendresse".
N'est-ce pas reconnaître que "Paroles" développe un engagement en faveur des humbles ? La réflexion sur cette question pourrait prendre en charge tour à tour la dénonciation, le pessimisme, l'épanchement, et l'art du poète. L'indignation de Prévert se lit dans sa dénonciation et d'abord dans sa dénonciation de la guerre.
[...] Prévert ne croit pas aux vertus de l'autoritarisme exercé par la famille. C'est ainsi que la chanson dans le sang déplore le sang des enfants tranquillement torturés par leur papa et maman Prévert, l'adepte de la liberté individuelle, ne cautionne pas non plus le dirigisme qui caractérise l'éducation de beaucoup de parents. Il ironise contre ce type d'éducation dans son poème intitulé le droit chemin en présentant les parents comme des vieillards au front borné S'agissant de l'école, on peut dire que le sarcasme avec lequel Prévert traite cette institution témoigne de son doute quant à l'efficacité des méthodes qui y sont pratiquées. [...]
[...] À certaines occasions ce pouvoir de transformation de la réalité permet au poète de révolutionner le monde dans le sens de ses convictions. Dans la page d'écriture par exemple, Prévert traduit sa révolte contre l'école par un miracle poétique : les murs de la classe/ s'écroulent tranquillement On doit donc dire que la spontanéité des poèmes de Prévert n'est qu'apparente. Ils résultent d'un travail sur le langage. En somme, une lecture même distraite de Paroles permet d'y découvrir l'aversion de Prévert contre la guerre et la religion ; son inquiétude à l'endroit de la famille, de l'école et des idéologies, son lyrisme et sa solidarité avec les parias. [...]
[...] D'ailleurs, l'évêque est ivre et il a été dans un bordel. Enfin, le poète s'indigne contre l'Église qui garde le silence devant l'oppression et l'exploitation des déshérités de la terre. Dans la crosse en l'air on peut entendre le poète déclarer par la bouche de son veilleur de nuit : je viens demander au pape s'il est sourdingue [ lui demander [ ] ce qu'il attend pour ouvrir sa grande gueule en faveur des opprimés Il apparait ainsi que dans Paroles Prévert exprime sa colère contre ceux qui, en acte ou par omissions, causent la mort de l'homme. [...]
[...] On comprend pourquoi Brunel et ses collaborateurs ont écrit que ce livre exprime colère, mélancolie, tendresse La rencontre d'une alchimie verbale nous amène toutefois à nous inscrire en faux contre l'affirmation des Brunel selon laquelle cette œuvre est une parole sans détour Prévert est avant tout un poète, un artisan du langage. Du reste comment peut-on faire de la poésie sans détourner le langage de sa fonction dénotative ? [...]
[...] Prévert chante les joies de l'amour heureux parfois avec beaucoup de sensualité. Pour illustration, citons les six voluptueux vers de l'Alicante : une orange sur la table/ Ta robe sur le tapis/Et toi dans mon lit /Doux présent du présent /fraicheur de la nuit/Chaleur de ma vie .Prévert est aussi le chantre de l'amour malheureux .Le poème intitulé Déjeuner du matin »offre un exemple déchirant. Les pages les plus lyriques du recueil et les plus caractéristiques de l'amour prévertien restent cependant celles des poèmes Pour toi mon amour et Chanson du geôlier Dans ce dernier poème ,on peut lire par exemple : Je veux qu'elle soit libre /Et même de m'oublier/Et même de s'en aller/ Et même de revenir/ et encore de m'aimer/Ou d'en aimer un autre/ si c'est un autre qui lui plaît La tendresse n'est-elle pas aussi un sentiment altruiste ? [...]
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