Rabelais est, dans la première moitié du XVIème siècle, l'un des plus grands représentants de l'humanisme. Moine récalcitrant, médecin, formé au grec, admirateur d'Erasme, protégé de Jean du Bellay, il devient écrivain en racontant les aventures de deux géants, Pantagruel et Gargantua, débonnaires et gloutons ; leur gigantisme est à l'image de l'appétit intellectuel de l'homme de l'époque. A travers ces oeuvres, Rabelais entend concilier culture ancienne païenne, culture chrétienne, culture savante et culture populaire.
Pantagruel (Les horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel Roi des Dipsodes, fils du Grand Géant Gargantua) paraît en 1532 sous le pseudonyme d'Alcofrybas Nasier, anagramme de l'auteur, qui donne pour étymologie au nom de son héros : "tout altéré". L'oeuvre se signale d'emblée par son humour, la richesse de sa langue, le délire de l'imagination, tous au service du rire et de l'ouverture d'esprit. Dans le chapitre XXXII, le narrateur, un certain Alcofrybas, est amené à entrer dans la bouche de son héros et explore l'intérieur. Cette perturbation de l'ordre narratif annonce les surprises qui y attendent le lecteur (...)
[...] - L'admiration d'Alcofrybas est rendue sensible par plusieurs expressions mélioratives : le superlatif les plus beaux et la répétition de l'adjectif, des expressions hyperboliques comme pleins de délices et jamais meilleure vie Cette admiration va de pair avec une surprise, qui est sans effroi : l'adjectif ébahi revient deux fois, et l'on note les exclamations ô dieux et déesses Jésus ! Ainsi le narrateur, comme d'autres voyageurs du temps, fait le récit d'un voyage dans un monde inconnu, qui provoque chez lui surprise et admiration, par les disproportions et l'énormité que disent bien les passages descriptifs notamment. Toutefois, on ressent un décalage car le nouveau monde est aussi rempli de connu, et de fait, on remarque vite une certaine familiarité avec l'environnement. [...]
[...] L'auteur grandit l'homme, littéralement. - En spatialisant le corps comme un pays, Rabelais part en exploration, et cherche à établir des analogies entre ce microcosme et le macrocosme. La bouche de Pantagruel devient ainsi la cathédrale Sainte-Sophie, immense, mais aussi sacrée, puis un paysage, puis des parallèles sont établis entre les dents et les montagnes, les abîmes de la nature et l'estomac ; les villes tirent leur nom des organes (Aspharage, Laryngues et Pharyngues). Non seulement le corps est une terre comme notre terre, avec ses paysages et son agriculture prés prairies vignes mais il a une architecture, avec ses jeux de paume ses belles galeries et son infinité de cassines L'homme est ainsi présenté comme un véritable univers en réduction, comme le disaient déjà certaines philosophies grecques (pythagorisme et orphisme). [...]
[...] On pourrait finalement trouver des éléments réalistes dans un texte qui n'est pas supposé l'être. - De plus, les habitants et le narrateur parlent la même langue ; aucune difficulté dans les échanges, puisque c'est le français que parlent les personnages rencontrés. En témoignent notamment l'expression imagée du planteur de choux, et la façon d'appeler l'interlocuteur : mon ami monsieur Sire Messieurs Le français est employé partout dans ce nouveau monde intérieur comme il l'est à l'extérieur. Bientôt, en 1539, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier fera du français la langue officielle en France. [...]
[...] Le texte ne cache donc pas les aspects les moins raffinés de l'être physique qu'est l'homme. - Le texte fonctionne aussi comme parodie des récits de voyage extraordinaires, d'abord par les traits d'humour et de contraste mentionnés ci-dessus, et ensuite par le processus de banalisation : Banalisation : une scène finalement réaliste et quotidienne - On peut d'abord remarquer que les marques d'étonnement du narrateur restent assez discrètes vu l'énormité des proportions qu'il contemple et arpente. La première phrase qui mêle interrogation et exclamation est par trop emphatique, avec l'apostrophe aux dieux et déesses comme la phrase suivante avec une supposée malédiction de Jupiter, et avec son trop solennel attribut la foudre triple : l'effet est comique, et ne communique pas l'étonnement. [...]
[...] Lors je pensai que quand Pantagruel bâillait, les pigeons à pleines volées entraient dedans sa gorge, pensant que c'était un colombier. Puis je m'en entrai à la ville, laquelle je trouvai belle, bien forte, et d'un bel aspect, mais à l'entrée les portiers me demandèrent mon bulletin de quoi je fus fort ébahi, et leur demandai : Messieurs, y a-t-il ici danger de peste ? - Ô Seigneur, dirent-ils, l'on se meurt ici auprès tant que le charriot court par les rues. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture