"Jeune fille endormie" est extrait d'"Opéra" que Jean Cocteau (1889-1963) publie en 1927, mais qu'il avait entrepris de composer deux ans plus tôt, en 1925. Le poème se présente comme une réflexion sur le sommeil et sur le rêve que suscite, chez l'auteur, la contemplation d'une "jeune fille endormie".
C'est que pour Cocteau, l'irréel est en nous : il nous suffit, pour le découvrir, de dormir et de rêver. Ainsi retrouve-t-on, dans ce texte, de nombreux thèmes chers à l'auteur : la rupture avec le quotidien, la fascination du songe, ses dangers et ses bienfaits. Le texte comporte quatre strophes, d'ampleur égale, de quatre vers chacune (et appelées pour cette raison des quatrains), mais de rythme différent (les vers comprennent 8, 9, 10, 11 ou 12 syllabes et ne riment pas toujours entre eux).
[...] 13) : l'auteur s'adresse à la jeune fille qui est rapidement décrite (v. 14) et qui, déjà, ne l'entend plus (v. 15) ; c'est qu'elle se passionne pour ce que le rêve lui fait entrevoir (v. 16). Explication suivie Strophe I. Comme l'indiquent l'impératif "rendez-vous" et le groupe nominal "arbre à songe", le premier vers est une invitation au rêve. Sur le plan de la construction grammaticale, "arbre à songe" rappelle la technique de l'écriture automatique mise au point par les écrivains surréalistes. [...]
[...] Cocteau veut dire par là que la poésie se trouve d'abord en nous, du moins lorsque, renonçant aux apparences, nous devenons des médiums, que nous entrons en contact avec l'invisible, qui est tout aussi réel que le visible. Or cette découverte ne peut s'effectuer que dans et par le rêve. C'est pourquoi Cocteau écrit : "C'est le sommeil qui fait ta poésie." (v. 13) Le charme de la jeune fille provient d'un contraste entre son apparence extérieure, faite d'abandon, de nonchalance ("avec un seul grand bras paresseux"), et l'enchantement intérieur qui est le sien : "Déjà le rêve . t'a saisie" (v. 15). "Saisie" a ici le double sens "emportée" et de "captivée". [...]
[...] "Opéra", Jean Cocteau (1927) - "Jeune fille endormie" Poème Jeune fille endormie Rendez-vous derrière l'arbre à songe ; Encore faut-il savoir auquel aller. Souvent on embrouille les anges, Victime du mancenillier. Nous qui savons ce que ce geste attire : Quitter le bal et les buveurs de vin, A bonne distance des tirs Nous ne dormirons pas en vain. Dormons sous un prétexte quelconque, Par exemple : voler en rêve ; Et mettons-nous en forme de quinconce, Pour surprendre les rendez-vous. [...]
[...] La seconde strophe développe et précise les mêmes thèmes : quitter le quotidien, qui est comparé à une fête foraine et n'est pas sans risques ; mais la richesse et l'utilité du sommeil valent que l'on coure ces risques (v. 8). Le troisième quatrain formule de manière plus pressante l'invitation lancée au début du poème (v. ; la nature du rêve se dessine (v. 10) : il s'agit du rêve dit de lévitation (planer dans l'air) ; aussi convient-il de se préparer à cet envol imaginaire (v. 11) pour découvrir les communications mystérieuses qu'entretiennent le réel et l'invisible (v. 12). La dernière strophe établit une équivalence entre le sommeil et la poésie (v. [...]
[...] Quant au mot "ange", qui revient souvent dans l'oeuvre de Cocteau, il possède un sens très précis : de même que, dans la religion chrétienne, l'ange figure un être spirituel, intermédiaire entre Dieu et l'homme, de même chez le poète, il représente "agent de liaison" entre le visible et l'invisible, le guide qui nous emporte vers l'imaginaire. C'est pourquoi il ne faut pas "embrouiller". Lorsqu'on le fait, c'est que l'on est "victime du mancenillier" (v.4). Grammaticalement, "victime" est apposé à (v. 3). Quant au "mancenillier", il s'agit d'un arbre d'Amérique, surnommé "arbre à poison" ou "arbre de mort" à cause de l'espèce de résine (le latex) vénéneuse qu'il produit. Cet arbre évoque donc à la fois l'exotisme et la mort ; il incarne les périls inhérents à la quête de l'invisible. [...]
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