Les Ombres errantes, Pascal Quignard, écriture, auteur, écrivain, premier tome, dernier royaume, genres littéraires, narrateur, littérature, lecteur, extrait
« Tous les très grands écrivains sont aphasiques d'une certaine manière » : cette formule lapidaire de Jacques Derrida semble mettre le doigt sur le problème que pose l'incipit des Ombres errantes de Pascal Quignard, le premier tome d'un Dernier royaume encore en expansion. À la croisée des genres littéraires, cette oeuvre s'ouvre en effet par une description en acte du sentiment de répulsion qui envahit le narrateur (dans lequel on retrouve l'auteur) en présence de livres, répulsion débouchant sur l'aphasie. À la fois très concrète et très poétique, elle interroge le rapport de l'auteur à la littérature en traversant le temps.
[...] Ce phénomène est renforcé par le style paratactique qui, faisant fi des conjonctions au service de la cohérence textuelle, juxtapose abruptement les propositions. Cela ne signifie pas la dissolution de toute progression logique d'un fragment à l'autre ; mais cette logique n'est pas soulignée, voire artificiellement créée, par le renfort des mots de liaison. Les propos s'enchaînent d'après une logique interne qui demande au lecteur de maintenir son attention sur le qui-vive pour en suivre la progression à travers les rapprochements inattendus (le passage du matin aux livres, de la ville à la pomme, par exemple). [...]
[...] J'ai écrit parce que c'était la seule façon de parler en se taisant. [...]
[...] Les Ombres errantes - Pascal Quignard (2002) - Comment l'auteur inscrit-il l'impulsion de son écriture dans un vertige de l'origine qui l'explique et la légitime ? « Tous les très grands écrivains sont aphasiques d'une certaine manière » : cette formule lapidaire de Jacques Derrida semble mettre le doigt sur le problème que pose l'incipit des Ombres errantes de Pascal Quignard, le premier tome d'un Dernier royaume encore en expansion. À la croisée des genres littéraires, cette œuvre s'ouvre en effet par une description en acte du sentiment de répulsion qui envahit le narrateur (dans lequel on retrouve l'auteur) en présence de livres, répulsion débouchant sur l'aphasie. [...]
[...] On peut également souligner la présence importante de tournures négatives, voire doublement négatives (« Je ne puis toucher [ . ] sans que remonte en moi »). Le fil conducteur de l'extrait paraît être la souffrance, souffrance vraiment physique, du narrateur face à la défaillance du langage. Nous avons donc vu que le style brusque et éclaté de l'extrait confère à sa description de l'expérience de lecture, description paradoxalement faite à travers de la narration, une dimension proprement effrayante. Cela se double d'une exploration intime qui prend les atours d'une psychanalyse. [...]
[...] Ces catégories du dedans et du dehors, associées à la figure maternelle, nous conduisent à nous demander si la difficulté rencontrée par le narrateur n'est pas, en définitive, celle de la venue au monde, de la naissance, et auxquelles pourrait faire allusion la première ligne, dans une renaissance de chaque matin. Les « heures où je ne parlais pas encore » nous rappellent que le mot enfant vient du latin infans - celui qui ne parle pas. Ainsi, l'impossibilité d'avoir accès au royaume de la lecture pourrait figurer l'impossibilité de retrouver le sein maternel. [...]
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