Parmi toutes les épreuves qu'Ulysse et ses compagnons doivent surmonter avant leur retour à Ithaque, celle qui fait intervenir les Cyclopes est sans aucun doute la plus ardue : d'une part parce que les Grecs ont à faire à des êtres doués d'intelligence (quoiqu'elle soit assez primaire), et donc doués de ruse et de perversité – au contraire par exemple de créatures mal dégrossies comme Charybde et Scylla, qui ne sont que des animaux –, et d'autre part parce que (les Sirènes exceptées) les Cyclopes représentent dans L'Odyssée un cas unique : à l'inverse des géants lestrygons, des Cicones, des Lotophages et bien sûr de Circé , les Cyclopes ne sont pas des êtres civilisés : ce sont des sauvages dont le mode de vie primaire est aux antipodes de celui (évolué) des Grecs de l'époque archaïque, dont Ulysse fait partie.
Avec les Sirènes, les Cyclopes sont donc une singularité dans L'Odyssée, et c'est cet alliage en eux de ruse mauvaise (qu'Ulysse aura d'ailleurs de la peine à déjouer) et de sauvagerie qui fait qu'ils constituent l'épreuve la plus redoutable rencontrée par Ulysse durant son errance à travers terres et mers (en raison de leur sauvagerie même, Ulysse n'a en effet à attendre d'eux aucune manifestation d'indulgence et de bienveillance, sans parler d'un éventuel sens de l'hospitalité).
[...] Le dernier argument résonne comme une menace, Ulysse sous-entendant que si Polyphème renvoie ses hôtes sans rien leur accorder, la colère divine s'abattra sur lui. Ulysse manie donc une gamme d'arguments très large afin de conquérir le soutient du Cyclope : s'il se fait son inférieur, et s'il le supplie ‘Nous sommes tes suppliants' vers 269), il n'oublie par pour autant de le rappeler à ses devoirs et de le menacer suggestivement. Polyphème n'est pas dupe de ce dernier argument dont il suspecte aussitôt toute la portée et le premier élément de sa réponse à Ulysse va y faire référence, en le niant : sot, inconnu, ou viens-tu de fort loin,/ pour m'inviter à craindre, à respecter les dieux Les Cyclopes n'ont pas souci du porte-égide/ ni des dieux bienheureux : nous sommes les plus forts./ Et ce n'est pas la peur de la haine de Zeus/ qui me ferait vous épargner, si je n'y songe !' (vers 273 à 278). [...]
[...] Le discours qu'Ulysse adresse en réponse à l'intervention de Polyphème est d'une grande complexité. D'abord, il essaye d'apitoyer le Cyclope : ‘Nous sommes, oui, des Achéens venant de Troie, chassés/ par tous les vents du ciel sur le grand gouffre de la mer regagnant nos maisons' (259 à 261) Ulysse suggère ici au Cyclope que contrairement à lui (qui habite sa grotte) il est loin de son foyer, mais aussi que cet exil hors de chez lui est dû à l'absence de clémence des éléments chassés par tous les vents du ciel Noter l'exagération : tous suivi d'un pluriel). [...]
[...] Chant IX de l'Odyssée d'Homère : Ulysse et le monde des Cyclopes Texte 1 : pp 145 et 146, vers 105 à 151. Texte 2 : pp 148 à 150, vers 231 à 306. Parmi toutes les épreuves qu'Ulysse et ses compagnons doivent surmonter avant leur retour à Ithaque, celle qui fait intervenir les Cyclopes est sans aucun doute la plus ardue : d'une part parce que les Grecs ont à faire à des êtres doués d'intelligence (quoiqu'elle soit assez primaire), et donc doués de ruse et de perversité au contraire par exemple de créatures mal dégrossies comme Charybde et Scylla, qui ne sont que des animaux et d'autre part parce que (les Sirènes exceptées) les Cyclopes représentent dans L'Odyssée un cas unique : à l'inverse des géants lestrygons, des Cicones, des Lotophages et bien sûr de Circé[1], les Cyclopes ne sont pas des êtres civilisés : ce sont des sauvages dont le mode de vie primaire est aux antipodes de celui (évolué) des Grecs de l'époque archaïque, dont Ulysse fait partie. [...]
[...] A la fin de son intervention, le Cyclope accole un conditionnel au verbe épargner haine de Zeus/ qui me ferait vous épargner' : dans son esprit les choses sont donc claires, Ulysse et ses compagnons ne ressortiront pas vivants de sa grotte. On a à faire ici à une inversion totale de la loi de l'hospitalité : le Cyclope ne prend pas soin de ses hôtes, il les détruit ; il ne les abrite pas durant la nuit pour qu'ils puissent dormir, il les garde auprès de lui pour pouvoir les dévorer ; il ne leur offre pas un repas, ce sont eux qui lui servent de nourriture. [...]
[...] Dans ce texte tout se passe un peu comme si Ulysse plantait le décor avant de passer au récit de la guerre des nerfs et des corps qui l'a opposé au Cyclope. Dans le cadre de cet exposé ethnographique, ce que Ulysse prend soin de mentionner en tout premier lieu aux Phéaciens, c'est le fait (teinté de scandale et d'anormalité à ses yeux, puisqu'il est un Grec civilisé) que les Cyclopes sont des êtres totalement dépourvus de civilisation. Il évoque ce point à de nombreuses reprises lors de sa description de leur île : Nous atteignîmes un pays de hors-la-loi,/ les Cyclopes (vers 106 et 107), Ils n'ont pas d'assemblées pour les conseils et pas de lois (vers 112), Ils habitent ( en des antres profonds, chacun y fait la loi/ dans sa famille, et reste insoucieux des autres (vers 113 à 115). [...]
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