L'épisode des Cyclopes est l'un des plus célèbres de l'Odyssée. La céramique antique en témoigne, qui montre l'un de ses temps forts : l'aveuglement de Polyphème et la sortie de la caverne, qui illustrent l'intensité dramatique de l'histoire et sa dimension symbolique. L'épisode commence au vers 105 du chant IX et se termine vers 556, à la fin du chant. C'est donc un épisode très long, qui possède une certaine autonomie. Sans doute les aèdes le racontaient-ils indépendamment du reste de l'épopée, car sa consistance et sa dramatisation lui confèrent un intérêt propre.
L'épisode peut être scindé en trois temps : la découverte de l'antre, les heures passées dans l'antre, la sortie de l'antre et la fuite. L'action est dense et un certain suspense est ménagé : Ulysse va-t-il entrer ? Polyphème va-t-il arriver ? Combien vont mourir ? Comment vont-ils sortir ? Les ruses vont-elles fonctionner ? Dès l'instant où Ulysse décide de pénétrer dans la grotte, le lecteur est tenu en haleine par une mécanique inquiétante.
[...] Un deuxième terme les qualifiant apparaît dans le texte grec, mal rendu par la traduction de Jaccottet : l'adjectif substantivé, uperphialôn, qui signifie très fort, très puissant mais aussi excessif, orgueilleux, arrogant Il peut donc désigner et le gigantisme des Cyclopes et leur orgueil démesuré qui moralement fait d'eux des êtres monstrueux. Dès lors l'inhumanité et la monstruosité des Cyclopes ne sont plus seulement physiques. Certes, comme le dit Ulysse, Polyphème est un monstre gigantesque, il ne ressemble pas/à un mangeur de pain, mais plutôt au sommet boisé/d'une haute montagne apparue à l'écart v. 190-191). [...]
[...] Ainsi, quand le jeu de mots devient effectif, quand Polyphème répond aux autres Cyclopes, le grec joue sur outis et tis, qui veulent dire pas quelqu'un et quelqu'un Une traduction littérale donne le dialogue suivant : Est-ce quelqu'un de mortel qui t'a blessé ? - Ah mes amis, pas quelqu'un ne m'a blessé - Alors s'il n'y pas quelqu'un qui t'a blessé etc. d'un côté Polyphème prend outis comme un nom propre, de l'autre les Cyclopes le prennent comme un pronom indéfini composé de la négation ou et de l'indéfini tis. De plus, Homère continue à jouer sur les mots par le calembour outis et mêtis après le dialogue. [...]
[...] ▌L'alternance récit/dialogue Les dialogues contribuent également à la dramatisation de l'épisode : dialogue d'approche v. 251-286), dialogue de séduction v. 347- 352), dialogue de ruse v. 355-370). La confrontation verbale entre le monstre et l'homme est le moment le plus intéressant de la scène, sans compter que s'y joue aussi le destin d'Ulysse. Le passage présente également l'échange comique entre Polyphème et ses frères v. 403-412), puis les paroles affectueuses de l'ogre pour son bélier v. 447-460). Il se termine par le défi entre Ulysse qui jubile d'avoir trompé Polyphème et le Cyclope qui maudit le héros et implore la vengeance de son père v. [...]
[...] Un peu à l'image d'Œdipe qui, fier d'avoir résolu l'énigme du Sphinx, se pensait capable de libérer sa cité de la peste grâce à son intelligence, Ulysse, se fiant à son astuce, provoque Polyphème. Il n'écoute pas les conseils de prudence de ses compagnons ces mots ne persuadaient pas mon âme fière IX, v. 500) et ridiculise le Cyclope en lui expliquant sa ruse. Cette hubris vient donc nuancer un épisode tout à la gloire du héros, l'homme aux mille ruses (polutropos), l'« inventif image légendaire de l'intelligence humaine. [...]
[...] A l'individualisme des Cyclopes, Ulysse oppose en effet une identité collective : Nous sommes [ ] des Achéens dit-il au vers 259. Il ne se présente pas à eux comme il le fera auprès des Phéaciens : nul besoin de décliner sa terre d'origine, son titre et son nom. Il a compris que, face à Polyphème, les règles de présentation régissant les relations humaines sont inutiles. Il n'hésite donc pas à se nier pour continuer à être. Mais cette attitude n'aura qu'un temps. [...]
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