Extrait du recueil Alcools, « Nuit rhénane » ouvre un cycle des neuf poèmes rhénans composés entre 1901 et 1902. Selon Jean-Michel Maulpoix, « dès 1904, au moment où il publiait en revue quelques poèmes, Guillaume Apollinaire annonçait le projet d'une « plaquette à paraître : Le Vent du Rhin ». C'est dire qu'il songe alors à faire éditer l'ensemble des poèmes rhénans : ceux que lui a inspiré son séjour en Allemagne et son amour malheureux pour la jeune gouvernante anglaise Annie Playden. Il y ajoute en 1905 « La chanson du mal-aimé ». L'unité entre ces textes réside pour l'essentiel dans leur tonalité mélancolique. » Par son recours à la mythologie du Rhin, au thème de la femme inaccessible, à l'ivresse, « Nuit rhénane » est emblématique du cycle rhénan.
Le titre du recueil évoque « le motif de la soif, de longue date inhérent à la part dionysiaque de la lyrique » selon Jean-Michel Maulpoix.
Dans quels sens « Nuit rhénane » se rattache-t-elle au thème de l'ivresse qui ouvre et clôt le poème ? Et d'ailleurs, de quelle(s) ivresse(s) s'agit-il : une ivresse régionale des vignes du Rhin, une ivresse mélancolique pour oublier la souffrance, une excitation propice à l'inspiration poétique ?
Dans un premier temps nous examinerons le sujet de l'ivresse évoquée qui, plus largement que la femme, est du domaine du féminin. Puis nous nous attacherons à l'aventure du poète dans cette ivresse pour enfin essayer de saisir les sens, l'essence de cette ivresse poétique au moins autant que réelle.
[...] Trop réelles, les Gretchen ne sauraient jouer le rôle de muses et n'offriraient pas de vibration créatrice. Cette vibration se retrouve dans les premiers et derniers verres/vers qui se répondent en écho. Si le premier, Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme évoque par le terme de flamme et les allitérations en v les vibrations sensorielles et poétiques, le dernier, Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire plus cruel, notamment pas les termes brisé éclat et leur sonorité les voyelles finales conférant une sensation de dureté, met fin à cette double ivresse et à la vision hallucinatoire et poétique. [...]
[...] Seule l'action permet de lutter contre la dérive de son bateau ivre mental, de sa tempête sous un crâne pour reprendre des expressions respectivement rimbaldienne et hugolienne. Enfin seul un univers clos ronde et solaire filles blondes peut conjurer sa dérive nocturne et la puissance lunaire sous la lune sept femmes La fin de la strophe constitue un point de tension extrême puisque le lecteur est en attente de savoir si le poète pourra mettre un terme à son hallucination, pourra résoudre sa dualité. Ses appels, son sursaut vont-ils opérer ? [...]
[...] Extrêmement foisonnant, le poème se fait semble-t-il ars poetica : le poème (le vers, le chant, l'incantation, la création) se mettant à l'écoute d'un autre chant, se rattache au topos de la mise en abyme. Pour prolonger cette étude, on peut regarder les poèmes qui se font arts poétiques. On peut aussi le rapprocher par ses thèmes d'un poème de la même section du recueil, La Lorelei pour saisir l'importance des légendes rhénanes dans la création poétique d'Apollinaire. Bibliographie BRUNEL Pierre, Apollinaire entre deux mondes, PUF DECAUDIN Michel, Alcools de Guillaume Apollinaire (essai et dossier), Folio, coll. Foliothèque MAULPOIX Jean-Michel, Alcools d'Apollinaire , http://www.maulpoix.net/Apollinaire.htm TICHIT Michel, Apollinaire, Alcools, Ellipses, coll. [...]
[...] La nature, le lieu se fait complice de la figure féminine qui, avec son regard fatal comme la légendaire Lorelei, est source de souffrance envoûtante, de séduction, de charme pour le poète. Chef-d'œuvre de suggestion, le poème travaille les thèmes de la nature et de la femme, de la nuit et de la lumière, de la réalité et de l'irréalité, de l'ivresse du verre et de cette, poétique, du vers. Il oscille entre des opposés dans une intense création. L'ivresse est ici célébrée dans ce qu'elle a de créatif. Libérateurs de la souffrance, l'ivresse et le poème, l'ivresse poétique amènent le rire. [...]
[...] Et la chanson du batelier, personnage réel, identifiable laisse place au chant d'une voix (v. 11) non identifiée. L'étude de ce champ lexical et de ses modifications au fil du poème souligne, par la déréalisation progressive, la montée de l'inquiétude qui submerge le poète. De plus, non seulement le souhait formulé que je n'entende plus le chant du batelier ne se réalise pas mais la voix, impersonnelle, inconnue chante toujours à en râle-mourir (v. 11). Le néologisme du terme ainsi que les allitérations en r évoquent l'angoisse mortifère. [...]
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