Nous sommes en présence d'une phrase interminable sans point ni fin. La structure narrative est cyclique. En effet, il y a une résurgence continue du schéma suivant : le locuteur déambule dans la rue, poursuit quelque chose qui ressemble à une figure féminine, puis s'échappe. À la fin de cette narration, on observe la formation d'un ailleurs, d'un rêve comme d'une échappatoire à ce cercle vicieux ne menant à rien. Il n'y a ni paragraphe, ni chapitre. La narration se fait de façon continue et fluide jusque dans les détails extrêmes des pensées du narrateur ainsi que de certaines focalisations descriptives.
La composante dialogique dans cette œuvre est ambiguë. En effet, le locuteur bavard semble égocentré et exercer une toute-puissance sur un interlocuteur écrasé d'un point de vue dialogique. La présence de l'interlocuteur (indispensable pour le dialogue) est subtile et ne se constitue qu'au fil des pages. L'utilisation du pronom personnel « on » tend vers une généralisation impersonnelle : « même si on ne le veut pas, il est difficile de ne pas se regarder ».
Ce pronom personnel renvoie à une certaine pudeur du narrateur qui peut alors nous paraître paradoxale. En effet, si le narrateur est un bavard égocentrique qui écrase l'interlocuteur de ses paroles, pourquoi se cacherait-il, en analysant son propre comportement, derrière ce « on » si impersonnel ? Il est évident que le narrateur n'envisage aucune réponse de l'interlocuteur à ce qu'il dit et ce « on » apparaît alors comme le dictat d'une vérité générale qu'il lui impose en partant de ses propres frustrations, réflexes comportementaux.
[...] Il est d'ailleurs intéressant de noter que le narrateur semble être pris à son propre piège. En effet, il a l'air d'avoir vécu une situation dans laquelle se trouve son interlocuteur, celui d'un interlocuteur écrasé par les paroles interminables du locuteur. En effet, page 38, il affirme : ces histoires- là, si on s'écoute, si on se laisse aller, cela vous rend cinglé L'expression orale, lorsqu'elle mime des mécanismes tortueux et compliqués de la pensée, agit sur cette dernière : nous sommes bien dans un cercle vicieux dans lequel le bavardage est l'expression et la cause de ce qui s'apparenterait à un déséquilibre mental. [...]
[...] Dans le cadre de son bavardage et à travers de la description de ses relations avec les femmes (p. le narrateur subit et décrit sa propre relation avec un autre fictif (le camarade) et un autre réel (le lecteur), ce dernier étant compris dans l'utilisation du tu impersonnel. L'enjeu du bavardage est alors clairement celui de la connaissance et le questionnement reviendrait à dire : par quoi passe la connaissance ? Est-ce par la parole ? Il y a un réel décalage entre l'identité et les apparences que met en exergue ce bavardage, ce flux interrompu de paroles. [...]
[...] Le bavardage constituerait donc le symptôme d'une maladie mentale ainsi que de carences affectives et sociales. Mais si ces carences et ses souffrances ont fait du mal au narrateur par le passé, elles continuent d'exercer sur lui un poids, d'où le thème récurant de la recherche de légèreté. Cette légèreté s'exprime également dans le cadre des relations du narrateur avec les autres personnes en ce sens qu'il prône une spontanéité lorsqu'il aborde des personnes sans vraiment les connaître comme nous l'avons développé plus haut. [...]
[...] Nous avons ici comme une justification de la fonction elliptique du bavardage. En effet, le locuteur est à la quête de son identité perdue et donc il n'a pas besoin de connaître celle des autres pour diverses raisons hypothétiques exposées ci-dessus. Mais la connaissance de l'autre peut se résumer à une union physique décrite assez vulgairement : comment avoir une idée sur quelqu'un sans avoir baisé avec elle ? (p.40). Les paroles, les mots n'ont pas d'importance car ils sont toujours inutiles pour connaître l'autre et nous noient selon le narrateur. [...]
[...] Le narrateur utilise le discours rapporté grâce aux doubles points mais qui ne sont pas suivis de guillemets : le petit clan des salauds techniques qui décident : l'usine et silence (et l'usine, moi, jamais l'usine et vos gueules ! (et si ma gueule, je l'ouvre (p. 19). La ponctuation est ici très riche par l'intervention des parenthèses qui marquent typographiquement une structure binaire propre au dialogue. Il est intéressant ici de soulever le fait que les réelles paroles du locuteur sont entre parenthèses et celles des cons qui semblent être les Français, anciens collègues d'un travail que le narrateur a perdu sont mises en valeur. On toucherait alors ici à la source de la souffrance du narrateur. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture