Klein voyait les artistes comme ceux qui étaient capables de "rendre visible l'invisible". Cette définition s'applique assez bien aux poètes qui, bien souvent, essayent de retransmettre une perception particulière au lecteur. Jaccottet par exemple avoue que la poésie est un "domaine où le plus grand scrupule est de rigueur". Et en effet, dans L'Effraie on remarque que le poète accorde une réelle importance aux mots qu'il emploie afin de retransmettre le plus fidèlement possible ce qu'il ressent. Par exemple, dans le poème "Les nouvelles du soir", Jaccottet mêle ses perceptions et sensations à des interrogations métaphysiques (...)
[...] La formule C'est inutile de nous forcer (vers 24 et 25) est mise en valeur. En effet, c'est inutile arrive juste en fin de vers, et l'on attendrait quelque chose comme de continuer Mais non, Jaccottet choisit d'écrire nous forcer comme si la relation entre les deux êtres du poème n'existait que par un accord tacite, qu'elle existe parce qu'elle doit exister et non parce qu'ils voulaient ou voudraient qu'elle existe. Sinon, on peut également entendre c'est inutile de nous forcer comme une impuissance du couple face au temps qui presse. [...]
[...] Sont-elles un signe pour annoncer que la modernité va adoucir le temps et apaiser les mœurs ? Ou bien au contraire, la modernité a révolutionné et révolté le monde, annihilant nature et sentiments des relations humaines, ne laissant tranquille que ces usines ? Le cadre n'est pas ce qu'il y a de plus rassurant mais Jaccottet parvient tout de même à tricher un peu. En effet, la prosodie du début du poème semble instaurer un rythme harmonieux où l'on se laisse volontiers bercer. [...]
[...] Jaccottet dit avec les mots et avec le rythme. La hâte se ressent à travers le vocabulaire et la prosodie, nous donnant ainsi l'image d'êtres en fuite à qui le plaisir exquis de la contemplation des souvenirs est interdit. Si les deux personnes fuient et se pressent, il n'en reste pas moins qu'elles sont comme à la recherche permanente d'un autre lieu où s'établir et où elles pourraient peut-être se reposer. En effet, on a vu que les villes n'étaient pas franchement hospitalières et que la relation avec autrui était sous le joug du temps en permanence. [...]
[...] Le poète pourrait se retrouver figé par ce qu'il trouverait dans ses souvenirs. Peut-être est-ce le souvenir des temps où tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Quoiqu'il en soit, les réminiscences sont proscrites mais on sent que le poète désire épouser les joies de la vie, on dirait qu'il regrette d'être pressé par ce temps impassible, d'être en fuite constamment. Mais là encore, il n'a pas le choix. Les villes sont détruites les unes après les autres : les brasiers urbains se propagent comme une véritable épidémie Et les villes qui sont encor debout brûleront v et 16). [...]
[...] Mais le si tu m'aimes ne trouve sa suite qu'au vers suivant, comme si le poète hésitait, doutait. retiens-moi est mis en valeur au tout début de vers, avant une virgule, l'expression est forte, paraît presque déterminée, suppliante. La fin du vers se fait bien plus incertaine, la prosodie et la ponctuation lui donnent un souffle très particulier, qui contraste d'ailleurs avec l'alexandrin du vers suivant et de sa césure à l'hémistiche (vers harmonieux appuyant la supplication). Les vers lus l'un après l'autre / 7 / puis / imitent à merveille ce que l'on dirait (et même la manière de le dire) en vrai si on devait le dire un jour. [...]
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