Fiche de lecture du roman d'Amélie Nothomb Acide sulfurique.
[...] Vous allez me voir mourir en sachant que je vous vois ! Cet extrait peut être interprété comme une simple parodie qui confèrerait à la télévision un caractère envahissant ou comme une allusion beaucoup plus pathétique renvoyant le téléspectateur, celui de Concentration mais aussi les autres, à ses responsabilités face au monde qui est représenté dans le petit écran. La presse joue un rôle ambigu. Elle s'indigne souvent : Les journaux se répandirent en invectives contre le cynisme nihiliste des kapos [ ] Les éditorialistes revinrent beaucoup sur cette perle que constituait le beau rôle attribué aux prisonniers ; le courrier des lecteurs parla de bêtise autosatisfaite et d'indigence humaine. [...]
[...] Ecoutez, ça vous regarde. Les valeurs sont faussées : ZHF 911 est une vieille femme et elle aurait dû être exécutée avant les autres mais elle est toujours en vie dans la deuxième partie du roman. La seule raison de sa survie est qu'elle était ignoble Ses propos sont affreux lorsqu'elle s'adresse aux mères qui vont perdre leurs enfants : C'est clair, leur disait-elle. Les nazis ont exterminé les petits en premier lieu. On ne peut pas leur donner tort : ces braillards, ces merdeux, ces pisseuses, on n'a que des ennuis avec eux [ ] Ne vous attachez pas à eux, ils seront tués d'entrée de jeu. [...]
[...] En effet, ils pensent que les spectateurs peuvent être excusés car ils sont simplement passifs, fatigués et qu'ils subissent l'influence du plus grand nombre : Vous savez bien que le programme télévisé est souvent l'unique conversation des gens. C'est pour cela que tout le monde regarde les mêmes choses : pour ne pas être largué et avoir quelque chose à partager. Pannonique finit par s'adresser directement aux téléspectateurs : - Spectateurs, éteignez vos télévisions ! Les pires coupables, c'est vous ! Si vous n'accordiez pas une si large audience à cette émission monstrueuse, elle n'existerait plus depuis longtemps ! [...]
[...] Personne ne comprend réellement le sens de la parole de Pannonique. Cette incompréhension témoigne de la difficulté de l'interprétation de l'image que chacun peut donner à voir et ce, quelle que soit l'implication du spectateur dans la situation. Les deux femmes arrivent même à cacher la distribution de chocolat ou leurs rendez-vous nocturnes aux caméras. Un autre paradoxe est celui de l'illusion du réel puisque les prisonniers ne jouent pas et se contentent de vivre en refusant toute photogénie alors que les conditions dans lesquelles ils se trouvent sont complètement artificielles. [...]
[...] Le public est même dévalorisé : Les nouveaux principes furent expliqués au public de manière à être compris même du dernier des crétins. L'addiction, le voyeurisme et l'hypocrisie des téléspectateurs atteignent leur paroxysme lors des dernières émissions : tout le monde se mit à regarder Concentration Même ceux qui n'avaient pas la télévision allaient la voir chez leurs voisins, ce qui ne les empêchait pas de se vanter haut et fort d'être les derniers réfractaires et les pourfendeurs de la télé-poubelle. Concentration atteignit l'audience absolue : cent pour cent de la population. L'émission fut regardée par tout le monde, à la lettre. [...]
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