Le mythe de l'âge d'or fut initié par Hésiode qui dans Les Travaux et les jours imagine sous le règne de Saturne, père de Jupiter, une période de bonheur et de prospérité où la nature dispensait aux hommes ses richesses avec la plus grande générosité. C'est Jupiter qui mit fin à cette époque idéale en créant l'âge d'argent, auquel succéda l'âge de bronze puis de fer. Cette alchimie à l'envers où l'or se change en fer traduit la décadence de la société, c'est-à-dire la lente dégradation de cet état de félicité originelle aux malheurs de la société contemporaine de l'auteur. Ce mythe devint très vite un topos littéraire, tant chez les poètes grecs (Platon, Démocrite) que romains (Tibulle, Horace). Virgile (-70 ;-19), « le cygne de Mantoue », fut l'un des derniers à reprendre ce mythe en l'évoquant dans le premier livre des Géorgiques paru en -23. En filiation des Bucoliques, où, comme l'indique le titre, le poète puise son inspiration dans la vie de bergers, les Géorgiques se présentent comme une poésie didactique faisant l'éloge de l'agriculture. Après l'exposé de quelques méthodes de culture, Virgile utilise le mythe pour expliquer les difficultés qui s'opposent à l'agriculture. Nous nous demanderons dans quelle mesure le poète exploite le mythe de manière singulière. Nous montrerons dans un premier temps que Virgile reprend les thèmes traditionnels de l'âge d'or, puis nous nous intéresserons à la manière dont Virgile caractérise l'action de Jupiter ; enfin, nous montrerons quelles sont les conséquences heureuses du règne de Jupiter.
[...] L'homme utilise, exploite la nature : il utilise la glu des arbres et se distingue désormais des autres animaux (en l'occurrence les chiens, canibus vers 140), les subordonnant à lui. La pêche aussi est évoquée, que ce soit en eau douce alius latum funda iam verberat amnem v 141 : l'un frappe de son filet lesté le large cours d'eau ou en mer alta petens, pelagoque alius trahit umida lina vers 142 : l'autre, en mer, cherchant à atteindre les profondeurs, tire ses chaluts humides Encore une fois, Virgile insiste sur la diversité des techniques élaborés par l'homme. [...]
[...] Les vers 125 à 128 sont consacrés à la description de cette époque antérieure. Nous y retrouvons les thèmes traditionnels évoqués par Hésiode dans Les Travaux et les jours ou par Ovide dans Les Métamorphoses : Virgile note l'absence de travail agricole nulli subigebant arua coloni vers 125, aucun paysan ne travaillait les terres l'absence de propriété ne signare quidem aut partiri limite campum fas erat vers 126-127 Il n'était pas même permis de borner la plaine ou de la diviser en utilisant une bordure la collectivité est ainsi mise en valeur, la notion de partage étant soulignée in medium quaerebant vers 127, ils mettaient leur ressource en commun Enfin, Virgile reprend l'idée d'une nature abondante et généreuse : ipsa tellus omnia liberius, nullo poscente, ferebat vers 127-128 la terre d'elle-même apportait tout avec une (trop grande spontanéité, sans que nul ne la sollicita On voit particulièrement dans cet extrait l'influence d'Ovide, qui dans les Métamorphoses écrit Ipsa tellus omnia dabat (vers 101-102). [...]
[...] Les actions menées par Jupiter semblent à priori répressives. Soit elles consistent à ajouter un élément par rapport à l'âge d'or évoqué précédemment addidit vers 129 signifie ajouter et le préfixe ad- a une valeur additive) ou à modifier l'équilibre, et dans ce cas les éléments nouveaux constituent un obstacle au confort des hommes : Ille malum virus serpentibus addidit atris / praedarique lupos jussit pontumque moveri» vers 129-130 il ajouta aux noirs serpents leur venin malfaisant et ordonna que les loups vivent de rapine et que la mer se soulève Soit ses actions consistent à enlever un élément du monde qui préexistait (on peut noter le préfixe dé- de decussit vers 131 qui a une valeur de cessation, le préfixe re- de removit vers 131 et repressit vers 132 qui signifie l'inversion). [...]
[...] L'homme conquiert aussi les mers, se faisant marin» navita vers 137), ce qui donna lieu à une science, l'astronomie navita tum stellis numeros et nomina fecit / Pleiadas, Hyadas claramque Lycaonis Arcton», vers 137-138 : Alors le marin dénombra et dénomma les étoiles/ Les Pléiades, les Hyades et l'ourse brillante de Lycaon Vient la chasse : Tum laqueis captare feras et fallere visco / Inventum et magnos canibus circumdare saltus» vers 139-140 Alors, on eut l'idée d'attraper les bêtes sauvages au moyen de filets et de les piéger avec de la glu et d'encercler les vastes terrains de chasse avec des chiens»). La multiplicité des techniques montre que tout le génie humain est stimulé par la difficulté. [...]
[...] Cette nécessité du travail oblige l'homme à faire preuve de création, inventant varias artes (vers 13, diverses techniques») pour vivre au sein de la nature. Le but, la finalité de l'action à priori répressive est justifiée par la conjonction de subordination ut (vers 133) suivie du subjonctif extunderet» vers 133, quaereret» vers 134, excuderet» vers 135). Virgile montre que l'homme grâce à l'action de Jupiter va faire preuve d'ingéniosité, d'imagination nous pouvons peut-être dire d'intelligence - pour plier la nature à ses besoins. [...]
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