Cette scène est entièrement constituée d'un unique monologue, prononcé par Lorenzo. En orchestrant cette prise de parole, Musset permet au spectateur - ou plutôt au lecteur - de mieux cerner le personnage principal de la pièce, à un moment décisif. Il arrive ici au terme d'années de double jeu, durant lesquelles il a été considéré comme un jeune homme incapable et précieux. Ce monologue sert à la fois de « répétition » de l'assassinat et d'exploration de l'énigmatique personnalité de Lorenzo à l'aube d'une vie nouvelle. L'expérience de lecture de cette scène est très enrichissante de plusieurs points de vue : les procédés stylistiques abondent et ce qu'on y apprend est capital pour la compréhension de l'intrigue. Elle témoigne de l'habileté de Musset à traduire les tourments de Lorenzo tout en conservant la lucidité du personnage. Ainsi allons-nous tenter de montrer comment l'auteur s'y prend pour faire ressentir au lecteur l'importance de l'enjeu de cette scène dans la vie du héros.
[...] Le passage d'un personnage à l'autre se fait donc sans la moindre transition (seuls apparaisent les tirets pour un minimum de compréhension). La première lecture de la scène est par conséquent très difficile. Cette gêne est volontaire de la part de Musset. Il s'agit de transmettre au lecteur l'ébullition sentimentale de Lorenzo. Le procédé est d'une efficacité tout à fait déconcertante. De plus, l'auteur lui superpose plusieurs procédés stylistiques, comme le paradoxe lutter avec Dieu et le diable, ce n'est rien qui semble faire de Lorenzo un homme en délire. [...]
[...] Pour traduire ses craintes, Musset crée un dialogue dynamique (chaotique) à l'intérieur du monologue (théâtre dans le théâtre). Il varie ainsi les tonalités et les points de vue sur le dilemme. Ensuite, la forme de monologue, à valeur tragique, permet aussi de révéler les sentiments et les ambitions du personnage. On est même plongé dans ses souvenirs. D'où des indices sur les motifs du meurtre : ils sont à la fois personnels et politiques. On découvre non sans surprise le véritable Lorenzo. [...]
[...] Musset le place à un moment stratégique : très peu de temps avant le meurtre. Ce ralentissement génère un suspense, tient le lecteur en haleine. Ce dernier sait désormais que le duc est destiné à mourir de la main de Lorenzo (à moins que celui-ci n'échoue Alors que l'action est très avancée, Musset saisit l'intérêt du lecteur en lui exposant une anticipation de l'action à travers les pensées du héros. Cette étape constitue aussi un bilan, une synthèse des différentes intrigues qui ont précédé. [...]
[...] Lorenzo a toujours été l'association de ces deux tendances. Le troisième aspect de sa personnalité, le jeune homme fragile et sans ambition aucune, était une couverture. A mi-longueur du monologue, Musset insert une séquence de souvenirs pour mettre en relief le fait que l'avenir de Lorenzo se joue cette nuit- là. Celui-ci cesse d'errer sur la place et s'assoit sur un banc Cette action est synonyme de stabilité, d'ancrage dans la réalité et de clairvoyance. Puis elle souligne une fois de plus sa solitude, l'intérêt du banc résidant dans ce qu'il peut accueillir plusieurs personnes. [...]
[...] - Non je ne veux pas boire On remarque également le recours aux phrases interrogatives, qui montrent que Lorenzo mène là une réflexion à froid, qu'il fait partager au lecteur ses idées au moment même où elles lui viennent à l'esprit. On note l'utilisation d'interjections et d'exclamations Ah ! Oh ! Eh ! Musset alterne phrases très courtes et phrases longues, comportant plusieurs propositions juxtaposées je ne m'aperçois pas que je prends froid, et je viderai un flacon manquant de liant, de rondeur, et de cohérence interne. Enfin, la pièce n'ayant pas été pensée pour être jouée, Musset doit compenser l'absence de jeu scénique. [...]
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