« Une femme est comme une ombre : courez après, elle vous fuit ; fuyez la, elle court après vous. » Toute l'intrique des Caprices de Marianne, pièce publiée en 1833 par Alfred de Musset, est contenue dans cette épigraphe du poème Namouna : une dévote, Marianne, refuse l'amour pur que le brûlant Coelio lui propose, pour prétendre à l'amour d'Octave, que celui-ci refusera de lui donner. Cette pièce, initialement écrite pour être lue, va connaître une renaissance fin 1850, lorsque Musset, relayant au second plan l'échec cuisant de La nuit vénitienne, va envisager de la faire représenter. Mais en 1851, la commission des censeurs, par laquelle passait toute pièce avant d'être représentée, dénonce le « caractère choquant de l'oeuvre ».
[...] Comment interpréter Octave ? N'oublions pas non plus qu'interpréter, c'est certes chercher à rendre clair ce qui paraissait obscur, mais c'est aussi, dans le domaine théâtral, « traiter un sujet en fonction de sa propre vision, de sa conception personnelle ». Octave est-il un personnage « interprétable » ?
[...] C'est donc sous les traits d'un bouffon qu'Octave apparaît pour la première fois au spectateur, et le rire qu'il fait naître, mais aussi l'autodérision dont il fait preuve sont les premiers signes d'une grande liberté du personnage : le rire est une forme comme une autre de liberté, d'autant plus flagrante ici que les autres personnages ne rient pas, ni ne s'amusent. Seul Octave est du côté du bruit (« On entend un bruit d'instrument » Acte I scène 1), de la couleur, (« Ô fou que tu es ! tu as un pied de rouge sur les joues », même scène), et du chant (« Tra, tra, poum ! poum ! tra deri la la ! » Acte II scène 1).
[...] Si Octave, sous son masque de dérision, cache un Enfant du Siècle écoeuré, il adopte aussi un comportement vis-à-vis de Coelio typique de cette génération d'enfants abandonnés, que nous allons analyser désormais. Dans toute cette génération de jeunes désoeuvrés, une chose encore semble être importante, aux yeux de Musset, comme il l'exprime dans sa « Réponse à Charles Nodier », publiée dans la Revue des deux mondes en 1843 : « Cher temps, plein de mélancolie / De folie / Dont il faut rendre à l'amitié / La moitié ! » L'amitié, la complémentarité, entre Octave et Coelio, sont un moyen d'échapper à une solitude insoutenable, en se parant de toutes les vertus, la sincérité, et la fidélité (...)
[...] Comment interpréter Octave ? N'oublions pas non plus qu'interpréter, c'est certes chercher à rendre clair ce qui paraissait obscur, mais c'est aussi, dans le domaine théâtral, traiter un sujet en fonction de sa propre vision, de sa conception personnelle Octave est-il un personnage interprétable ? Je ne pense pas, mais c'est mon humble avis, qu'Octave puisse être défini de telle manière que, cette dissertation faite, je puisse dire enfin : je sais tout d'Octave, il n'a plus un secret pour moi. [...]
[...] Toutes ces informations proviennent, pour ne rien cacher, de Lire les Caprices de Marianne, une approche dramaturgique. Pour la première représentation, la pièce fut créée au Théâtre de la République, ou Comédie Française, le 14 juin 1851. Dans le rôle d'Octave, un certain Brindeau, qui semble avoir fait d'Octave un personnage mature, manquant de légèreté, de souplesse et de désinvolture Un certain Félix Dusquesnel a ainsi dit de lui : Il avait plus de métier que de talent et de grâce. [...]
[...] dit Georges Sand à Musset dans une lettre datée du 1er mai 1834, il en va de même pour notre personnage, comme nous allons le voir désormais. * * * Nous pouvons désormais creuser tout le côté ambivalent de la figure d'Octave ; sa passion pour le jeu et la débauche se transforme alors presque en lent suicide conscient, et nous allons interpréter dans un premier temps ce personnage comme une figure emblématique du Mal du Siècle, dans toutes ses contradictions internes. [...]
[...] Cette obsession du jeu se retrouve aussi chez le personnage de Razetta, dans la Nuit Vénitienne. S'il aime jouer avec les mots, Octave semble trouver un indéniable plaisir dans la compétition verbale, dont l'expression la plus flagrante est la joute (que je trouve hilarante) qui l'oppose à Claudio à l'Acte II. La liberté est pour Octave synonyme de plaisirs multiples : ceux de la chair, avec l'évocation crue d'une certaine Rosalinde qui [lui] sert de maîtresse et ceux de l'alimentation. [...]
[...] Pour Octave, liberté rime donc avec rire, et le rire est souvent provoqué par la théâtralité du personnage, qui se met en scène lui-même au sein même d'une pièce de théâtre. Toujours concernant sa première apparition, Octave n'est pas complètement Octave, il est aussi l'arlequin de la Commedia dell Arte, il en a la batte et l'allure : Veux-tu mon épée ? Voilà une batte d'arlequin. Comme le masque d'Arlequin aux tous petits trous pour les yeux, Octave pose sur son personnage le masque du carnaval, fête de l'inconvenance et du rire : il affirme ainsi son amour pour l'amusement, son rejet des critères sociaux qui mettent l'apparence au premier plan, et son goût marqué par le travestissement. [...]
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