L'invention de la « modernité », qui conditionne l'esthétique littéraire du 20e siècle, trouve une de ses origines dans les écrits des poètes allemands du cercle d'Iéna comme Schiller, Novalis, mais aussi Hölderlin qui les premiers ont éclairé le caractère fragmenté de l'œuvre d'art et sa nature inachevée et ouverte. Ils révèlent alors que la critique d'art est étroitement liée à l'œuvre, puisqu'elle a pour tâche de l'achever en en dévoilant le sens. De plus, cette esthétique de la modernité se caractérise, entre autres renouvellements des formes d'expression, par une complexité plus grande. Les œuvres littéraires, depuis Mallarmé surtout, ont acquis un degré de complexité tel qu'elles exigent un acte d'interprétation plus élaboré qu'avant. Dans les œuvres littéraires ou picturales de Braque, de Soulage, d'Apollinaire ou de Celan, un élément semble toujours échapper à l'analyse traditionnelle, ce qui demande une « métamorphose » de la critique.
Parallèlement aux multiples métadiscours des écrivains sur leurs propres œuvres, comme ce fut le cas de Valéry ou de Robbe-Grillet, se développe chez des écrivains comme Baudelaire ou Malraux, tributaires de la tradition des Salons de Diderot, un discours de l'artiste sur l'art, comme s'ils étaient les plus à même de se placer comme intermédiaire entre l'écrivain et le public, entre l'œuvre d'art et le spectateur. Cette posture critique de l'artiste qui rend compte de ses impressions d'artiste, et non seulement d'érudit, conduit à se demander si l'essai de l'artiste n'est qu'une critique ou s'il peut être considéré comme une véritable œuvre d'art.
[...] Le Musée Imaginaire présente ainsi une alternance d'un ton universitaire et de grandes envolées comme de fulgurants allegros presto dans de grandes œuvres musicales. Mais il adopte aussi une posture de peintre, car si la peinture est une poésie qui se voit (Léonard de Vinci cité par Malraux), il semble bien que pour Malraux la poésie de l'essai est une peinture qui s'entend, une ‘voix du silence' rendue sensible par l'acte d'écriture. Si les langages de l'art sont frères de la musique l'écrivain artiste a pour tâche de faire naître [ ] la beauté en faisant entendre ce chant par l'écriture. [...]
[...] Le Musée imaginaire de Malraux Comme tel, l'essai n'appartient pas par essence au domaine de la littérature. Mais, dans certaines circonstances qui dépendent d'une appréciation esthétique, il peut se voir conférer une littérarité conditionnelle, fondée sur la reconnaissance de certaines qualités de son style, c'est-à-dire sur la capacité de sa forme verbale à faire naître cette sorte de jouissance qui est communément associée à la beauté Pierre Glaudes et Jean-François Louette, l'Essai. L'invention de la modernité qui conditionne l'esthétique littéraire du 20e siècle, trouve une de ses origines dans les écrits des poètes allemands du cercle d'Iéna comme Schiller, Novalis, mais aussi Hölderlin qui les premiers ont éclairé le caractère fragmenté de l'œuvre d'art et sa nature inachevée et ouverte. [...]
[...] La théorie de l'art se révèle par l'écriture poétique, ce qui prouve qu'une certaine littérarité est présente dans le style de l'essai sur l'art s'il veut transmettre une passion. De même, le choix des photographies dans le Musée imaginaire est l'œuvre d'un artiste et non d'un simple théoricien, car elles ne constituent pas de simples preuves. Le tableau de Madame Adélaïde faisant des nœuds de Nattier avec et sans cadre n'a qu'une fonction illustrative et explicative, le rapprochement entre les Ménines de Vélasquez et les Ménines de Picasso n'est pas original. [...]
[...] Malgré une lourdeur du style et un ton didactique, le Musée Imaginaire ne saurait captiver son lecteur que par les idées qu'il avance. En un sens, la thèse de Malraux n'est pas révolutionnaire, il semble qu'il synthétise une vision de l'art teintée d'hégélianisme tout en prenant en compte certaines découvertes théoriques plus récentes comme celles de Walter Benjamin sur la translation de l'art du profane au religieux. L'originalité de l'essai malrucien par rapport aux écrits théorico- philosophiques est peut-être la force qu'il révèle pour transmettre l'enthousiasme qui l'anime devant les œuvres d'art, comme si la jouissance qu'il éprouve devant un tableau pouvait sourdre, contagieuse, dans l'espace textuel de l'essai. [...]
[...] Le procédé d'accumulation à outrance cherche peut-être à convaincre, sûrement à provoquer un effet stylistique : Nous avons découvert hier le linteau de Cluny, les mosaïques de Pella, les vraies fresques de Fontainebleau, les têtes de Palenque, les vases de Han-yang, les bronzes du Louristan, l'art prébouddhique japonais, les statues parthes, les terres cuites Sao, les peintures de Lascaux, l'art rupestre du Sahara : 247). Mais il semble surtout que cette accumulation, qui produit un effet de choc par le rapprochement au sein d'une phrase d'œuvres éloignées temporellement et spatialement, cherche à pallier l'impossibilité de l'écriture d'une synthèse globale dans une vision unique par sa nécessaire juxtaposition syntaxique. Autrement dit, dans une telle phrase, Malraux veut frapper le lecteur d'une vision totalisante que seuls un peintre ou un sculpteur pourraient produire. [...]
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