Mouvements littéraires européens, Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l'immobilité de Douve, Aux arbres, mort, vie, poésie
Le recueil Du mouvement et de l'immobilité de Douve met en scène la perte de l'aimée. Pour autant, cette perte semble davantage exprimée d'un point de vue physique que sentimental ou conceptuel. Le titre même du recueil envisage la mort comme manifeste par l'immobilité du corps et l'absence de mouvement. C'est ainsi à travers une absence de gestes que se présente la perte. La section dans laquelle se trouve le poème « Aux arbres », intitulée « Derniers gestes », interroge le passage de la vie à la mort. Bien souvent, les derniers gestes sont ceux de l'endeuillé qui se recueille et, dans un certain nombre de rituels, fait ses adieux à l'aimée perdue. Ainsi, dans « Vrai corps », l'amant se prête à un rituel traditionnel de purification du corps, un des derniers gestes à accomplir avant de laisser le corps à son immobilité.
[...] Du mouvement et de l'immobilité de Douve, Aux arbres - Yves Bonnefoy (1953) - En quoi ce poème présente-t-il la mort comme un état dans le prolongement de la vie ? Le recueil Du mouvement et de l'immobilité de Douve met en scène la perte de l'aimée. Pour autant, cette perte semble davantage exprimée d'un point de vue physique que sentimental ou conceptuel. Le titre même du recueil envisage la mort comme manifeste par l'immobilité du corps et l'absence de mouvement. [...]
[...] Symboliquement, le nom de Douve semble lui-même s'effacer dans le poème. La nomination de la figure féminine présentée au deuxième vers par le pronom personnel « elle » est retardée au vers suivant et le nom ne réapparaît pas dans les vers suivants. Ce sentiment de perte peut aussi être exprimé par la forme versifiée qui fait le choix de l'alexandrin, vers traditionnel, sans toujours en adopter la musicalité classique : ces alexandrins ne sont que rarement rimés et présentent souvent des diérèses (« lumière » et « rien », vers 4 ; « matière » vers 5 ; « dialogue », vers 9 ; « nautonier », vers 10 ; « médiation », vers ce qui donne l'impression d'un boitement, d'un manque de fluidité et d'écho qui rythme le poème, mais sans en faire un chant. [...]
[...] Cette attention lui permet pourtant de saisir des signes de Douve (comme son dialogue) et de conjurer la séparation spatiale. L'hémistiche « et malgré tout ce fleuve » (vers 12) qui conclut la troisième strophe souligne, avec l'usage de la préposition « malgré », que le « je » parvient à conjurer la séparation spatiale par son attention à l'espace présent. L'absence corporelle de Douve parvient alors à revêtir une nouvelle forme de présence aux sens du « je » et la dichotomie entre présence et absence semble plus ambivalente qu'il n'y paraît. [...]
[...] C'est ainsi que Douve paraît avoir quitté le monde des vivants pour se fondre dans un monde monstrueux et fantomatique. Le nautonier est « informe » (vers 10) ce qui donne l'impression de voir en lui un fantôme, Cerbère est désigné par un pluriel (« les chiens », vers 10) ce qui souligne le caractère monstrueux de ce chien dont on ne perçoit pas, de prime abord, l'unité corporelle. Dans un monde inhumain, Douve apparaît elle-même comme une figure errante et fantomatique dont la perte de dignité paraît paradoxalement effective lorsqu'elle tente de la regagner : en « [tentant un dialogue] » (vers avec les chiens, elle espère briser le « silence » (vers imposé par la mort pour retrouver le logos proprement humain mais c'est bien à ce moment qu'elle pourrait le perdre pour se faire comprendre des chiens et espérer d'eux une réponse - il lui faudrait aboyer. [...]
[...] Le poème « Aux arbres », par exemple, met en scène un suicide : l'aimée perdue « s'est jetée / Dans la barque des morts ». Cependant, ici, le « je » poétique et Douve paraissent vouloir défier ces derniers gestes, symbole de rupture entre les vivants et les morts, pour continuer à entretenir un lien au-delà de la séparation qu'impose la mort. Ce lien prend forme dans une communication à travers la matière. Le choix poétique de représenter des « arbres » peut paraître significatif à cet égard : si la forêt ou le bois présentent des caractères souvent merveilleux et magiques dans la tradition littéraire, les « arbres » mis en scène ici semblent se déjouer de celle-ci pour insister sur le caractère physique du lieu qui se trouve dénuer de toute présence transcendante. [...]
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