L'exégèse de l'Ecriture Sainte, qui conçoit la Bible comme un message adressé par Dieu, a contribué à répandre dans le domaine de la littérature la conception d'un « Auteur-Dieu » à l'intention en principe clairement définissable duquel il faudrait rapporter les textes qu'il écrit. Dans cet extrait de « La mort de l'auteur », Roland Barthes prend acte du fait que, au moment de l'histoire de la critique littéraire où il se situe, une telle conception a été abandonnée car reconnue comme fausse, et il énonce celle qui lui a été substituée, en suggérant certaines de ses conséquences : il ne faut plus appréhender le texte comme un message émis par une instance qui en serait l'origine, mais il faut le considérer en lui-même, certes comme étant un « tissu de citations », mais qui lui sont totalement assimilées, loin qu'elles remplacent l'auteur dans sa fonction de source, d'origine. Le paradoxe qui émerge des propos de Barthes est en effet le suivant : la mort de l'auteur conduit à considérer le texte dans ses seuls rapports avec les autres textes, mais suppose qu'on s'affranchisse de toute illusion d'une origine transcendante au texte, elle oblige à penser ces rapports exclusivement dans l'immanence du texte considéré, et tend à faire de celui-ci un objet clos sur lui-même.
[...] Il serait illusoire de chercher le sens de la narration des amours de Brigitte et du narrateur dans celles de Céladon et d'Astrée. Dans le premier cas, le narrateur ne s'est pas retiré à la campagne et ne s'est pas épris de Brigitte, qui représente à ses yeux l'humilité et la vertu, en raison d'une pureté de cœur originelle, mais à cause du dégoût qui l'a envahi de sa vie de libertinage antérieure, qu'elle-même il avait embrassée en raison de désillusions qu'il avait subies. [...]
[...] Tiphaine Samoyault, dans L'intertextualité. Mémoire de la littérature, a passé en revue les différentes manières d'inclure un texte antérieur dans un texte nouveau, selon que l'assimilation du premier par le second est plus ou moins engagée : quand il s'agit d'une citation, l'extériorité de l'un à l'autre est soulignée, mais il y a des modes d'assimilation presque totale, où la présence d'un autre texte n'est que confusément sentie par le lecteur, voire pas du tout : ainsi, le texte est d'autant plus pénétré par les autres textes que son rapport avec eux est moins explicite. [...]
[...] S'il est vain de chercher à assigner une origine au texte, il découle de ce qui précède qu'il a un avenir qui empêche sa clôture. Le sens du texte, loin d'être un message recelé dans une mythique origine, n'est-il pas alors cet avenir même du texte ? Butor, dans le chapitre La critique et l'invention de Répertoire III, développe sa thèse de l'inachèvement essentiel de l'œuvre, qui fait qu'un texte, pour peu qu'il présente, sous forme d'esquisse, une architecture repérable, peut être repris et prolongé dans diverses directions. [...]
[...] La mort de l'auteur, Roland Barthes Nous savons maintenant qu'un texte n'est pas fait d'une ligne de mots, dégageant un sens unique, en quelque sorte théologique (qui serait le message de l'Auteur-Dieu), mais un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n'est originelle : le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture. Pareil à Bouvard et Pécuchet, ces éternels copistes, à la fois sublimes et comiques, et dont le profond ridicule désigne précisément la vérité de l'écriture, l'écrivain ne peut qu'imiter un geste toujours antérieur, jamais originel ; son seul pouvoir est de mêler les écritures, de les contrarier les unes par les autres, de façon à ne jamais prendre appui sur l'une d'elles ; voudrait-il s'exprimer, du moins devrait-il savoir que la chose intérieure qu'il a la prétention de traduire n'est elle-même qu'un dictionnaire tout composé, dont les mots ne peuvent s'expliquer qu'à travers d'autres mots, et ceci indéfiniment [ Roland Barthes extrait de La mort de l'auteur paru en 1968 dans la revue Manteia. [...]
[...] Un auteur mort, c'est par définition un auteur qui n'a plus d'avenir. L'auteur conçu comme origine absolue de son œuvre n'a plus d'avenir dans l'histoire et la théorie littéraires, et cela depuis un moment datable dans l'évolution de la critique littéraire, moment dont prend acte Barthes et auquel il a contribué. Parallèlement, l'idée d'un sens tout fait qui serait traduit par le texte n'a plus, elle non plus, droit de cité dans la théorie littéraire. Néanmoins, dans la mesure où son rapport aux autres textes, même s'il est perçu dans l'immanence du texte singulier, fait de celui-ci un objet temporel, qui a un passé mais aussi un avenir, la conception du sens comme consistant proprement dans cet avenir conduit à envisager l'idée d'un auteur comme point de convergence de ses textes, réfractés en quelque sorte par ceux qui les suivent : un auteur non pas immortel, mais qui demeure vivant tant que ses textes continuent à avoir un avenir, tant qu'ils continuent à véhiculer un sens. [...]
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