La scène est étrange, presque inattendue: on aurait pu penser que l'Infante détesterait sa rivale, et ne serait pas fâchée de la voir risquer sa vie au Portugal. Or, elle lui propose de l'emmener avec elle en Navarre, de la sauver en attendant que la situation politique évolue, que Ferrante meure par exemple, et que Inès puisse vivre pleinement son amour au grand jour. Aussi notons-nous l'utilisation de l'impératif présent: « Inès, venez! ». Cette phrase injonctive (injonction: ordre, impératif), ne peut que surprendre le spectateur qui s'attendrait plutôt à voir l'Infante désireuse de voir mourir Inès. (...)
[...] Il en est ainsi de la pièce intitulée La Reine morte, publiée en 1942. L'extrait que nous avons à étudier est un dialogue de la scène 5 de l'acte II entre Inès et l'Infante. Elles sont ici réunies pour un motif politique. En effet, le roi du Portugal Ferrante voulait marier son fils don Pedro à l'Infante de Navarre, afin de permettre l'union de leurs couronnes. Cependant, le fils a suivi la voix de son cœur et s'est marié avec Inès. [...]
[...] Au contraire, les deux femmes qui dialoguent suscitent l'admiration. L'originalité de cette scène et les interrogations qu'elle suscite: L'originalité et l'intérêt de la scène consistent ici à avoir rapproché deux rivales qui auraient toutes les raisons de se haïr. Au début de la scène, la didascalie initiale indique d'ailleurs que Inès est toutes griffes dehors Cependant, cette méfiance tombe très vite, à tel point que nous pouvons parler d'une réelle compréhension entre les deux femmes, compréhension qui consiste, pour l'Infante, jusqu'à proposer de sauver Inès. [...]
[...] C'est aussi pour cela qu'elle semble résignée face au spectacle des évènements, à tout ce qui ce qui l'entoure. Aussi, relevons-nous un important champ lexical de la fatalité: consume consumé cascade pente Ces métaphores de l'écoulement inexorable de l'eau sont la preuve d'un état d'esprit fataliste. A cet égard, elle affirme qu'elle n'a pas été faite pour lutter Ce fatalisme est donc lié à la personnalité même de Inès. Elle va jusqu'à faire l'éloge de la passivité, grâce à la métaphore du mûrissement: C'est quand le fruit de la Création Inès de Castro se situe donc aux antipodes de l'Infante, femme d'action. [...]
[...] Il vous consumera Cependant, ne pouvons- nous pas dire, comme Montherlant lui-même, que l'Infante, c'est le désespoir En effet, son action est vouée à l'échec: d'une part, elle ne parviendra pas à convaincre Dona Inès, et d'autre part, cette totale confiance en la volonté humaine semble illusoire, vaine: peut-on faire cesser l'écoulement de la vie? Certes, nous pouvons en modifier le cours, mais pas la fuite. En ce sens, c'est un personnage pouvant symboliser l'absurdité de la condition humaine: la situation dans laquelle se trouve Inès est tragique, mais le personnage de l'Infante ne l'est pas moins. En ce sens, nous pouvons bien parler d'un registre tragique. [...]
[...] L'Infante apparaît comme un personnage en quête d'un idéal, politique avant tout. Mais sa perpétuelle lutte peut paraître absurde, aussi n'apparaît-elle que deux fois sur scène, telle une ombre. Inès, à l'opposé, est sensible, touchante, pure; l'amour est sa philosophie. Cependant, la corruption du pouvoir va bientôt détruire cette pureté: le roi Ferrante va l'éliminer, puisque, comme le déclare son premier ministre: On tue, et le ciel s'éclaircit Après cette scène, Inès se retrouve donc désormais seule face à son destin. [...]
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