- Ce texte porte sur le thème de la cruauté, conformément au titre du chapitre, comme en témoignent les répétitions du terme "cruauté" (trois occurrences dans le texte : l.9, l.10, l.30) et la forte présence du champ lexical de la cruauté : "tourmentent et persécutent" (l.2), "tourments" (l.12), "une mort plus âpre et insupportable" (l.21), "tourmenter de quelque horrible supplice" (l.23), "des tourments inusités" (l.28).
- Un texte avec les caractéristiques typiques du genre de l'essai (forgé par Montaigne) qui cherche à imposer une définition subjective de la cruauté :
. L'emploi de la première personne du singulier ("je ne les plains guère" l.1, "Quant à moi" l.10, "Je vis..." l.24), souvent dès le début de chaque paragraphe, revendique nettement la présence du locuteur et souligne la subjectivité du propos. Celle-ci est accentuée par l'emploi de verbes qui expriment les sentiments : plaindre (l.1), envier (l.1), offenser (l.2), sembler (l.10),... Enfin Montaigne convoque une expérience personnelle : "je ne les puis voir d'une vue ferme" (l.3), "avant que je l'eusse vu" (l.26). Même si Montaigne emploie ici le verbe "voir" plutôt au sens figuré de "constater" (à nouveau dans la proposition "et ne voit-on rien aux histoires anciennes, de plus extrême..." l.25), ce verbe suggère nettement la volonté de l'auteur d'appuyer l'argumentation sur la bonne foi de l'expérience personnelle, réalisable par tout un chacun : cette implication du locuteur confère une force argumentative au texte. Cette propension nettement argumentative du texte est d'ailleurs sensible à l'emploi de quelques termes relevant du champ de l'argumentation : "témoigner" (l.4) au sens de prouver, d'illustrer, "alléguer un témoignage" (l.8) au sens de fournir un exemple, "exemples" (l.9 et l.24), "persuader" (l.26). Montaigne évoque des "témoignages", "voit", constate et se "persuade" pour mieux persuader le lecteur (...)
[...] Au terme de ce comparatif défavorable pour son pays et son époque, Montaigne conclut logiquement à propos des cruautés de son temps par une expression superlative qui établit un verdict sans appel, d'autant plus abrupt qu'il claque en une phrase lapidaire qui contraste avec la longue phrase précédente : voilà l'extrême point, où la cruauté puisse atteindre. (l.30). L'auteur établit donc une sorte de réfutation préliminaire des argumentations qui minimiseraient ou banaliseraient les cruautés de son temps et de son pays par l'évocation de cruautés du passé ou d'ailleurs et attribue ainsi la palme de l'horreur à son époque et à son pays, avec une gradation croissante évidente dans la cruauté : voilà l'extrême point, où la cruauté puisse atteindre. [...]
[...] Montaigne passe ainsi de la périphrase initiale ceux qui les tourmentent et les persécutent vivants (l.2) au groupe nominal final plus explicite la licence de nos guerres civiles quoique là non plus Montaigne n'emploie prudemment aucun terme renvoyant de manière directe à la religion. Le texte progresse ainsi du plus lointain au plus proche (du passé au présent Je vis en une saison l.24 de l'ailleurs à l'ici) et de l'implicite à l'explicite et semble prendre le détour du passé et de l'ailleurs pour arriver finalement à la situation présente de la France. [...]
[...] L'imprécision de cette expression permet aussi à Montaigne de conférer à cette critique de la cruauté une dimension plus universelle et intemporelle et de concerner tous les groupes religieux. Au-delà du contexte particulier des guerres de religion de la fin du XVIème siècle et même de toute guerre fratricide, c'est toute forme de cruauté qui est ici atteinte et ce texte expose les divers griefs de Montaigne à son encontre : o l'auteur s'indigne d'abord contre le plaisir prémédité, sadique et gratuit de ces cruautés : le seul plaisir du meurtre (l.27), sans inimitié, sans profit (l.28), non iratus, non timens (l.31), c'est-à-dire non sous le coup de la colère ou de la peur L'adjectif seul les prépositions sans et la négation latine non concourent à mettre en évidence le caractère pervers et injustifié de ces cruautés. [...]
[...] Si Montaigne ne se montre pas dupe de la cruauté de maints tyrans Romains (l.9) et ne néglige pas les sévices antiques mettre en croix l.6), il se réfère toutefois ici à la clémence de Jules César et oppose la cruauté que nous essayons tous les jours aux histoires anciennes (l.2526). B. Un appel à davantage de douceur et à une justice plus humaine (l'humanité de l'Humanisme) Ce texte participe aussi de l'Humanisme au sens où il appelle à plus d'humanité envers les victimes et les condamnés. [...]
[...] Aux cruautés des Sauvages (l.1) sont opposées les violences de nos guerres civiles (l.24-25), aux actions de Jules César et aux histoires anciennes (l.25) les cruautés de ces jours passés (l.13) et de tous les jours (l.25-26). Cette évocation de l'autre et de l'ailleurs permet à l'auteur de mettre en relief le caractère exceptionnel des vices (l.24) présents des Français. La répétition du comparatif de supériorité exprime nettement l'horreur sans équivalence des cruautés françaises à l'époque de Montaigne : Les Sauvages ne m'offensent pas tant ( ) que ceux qui les tourmentent et persécutent vivants. et ne voit-on rien aux histoires anciennes, de plus extrême, que ce que nous en essayons tous les jours (l.25-26). [...]
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