Commentaire composé semi-rédigé d'un extrait tiré des "Essais" intitulé De l'amitié (I, 28).
[...] Il voulait publier ce texte mais y renoncera. Il le dit peu avant notre texte : c'est ce livre qui "donna la première connaissance de son nom, acheminant ainsi cette amitié, que nous avons nourrie, tant que Dieu a voulu, entre nous, si entière et parfaite". Cette rencontre exceptionnelle annonce déjà le caractère singulier d'une amitié qui échappe "au patron des amitiés molles et régulières". Montaigne a l'honnêteté de ne pas dénigrer ces amitiés ordinaires : certes, elles sont un lien entre les âmes ("par le moyen de laquelle, nos âmes s'entretiennent"). [...]
[...] Il va chercher à mieux se connaître, à s'analyser (part autobiographique des Essais). Il a encore cherché à transformer en présence l'absence éternelle de son ami, puisque c'est grâce aux Essais que La Boétie se trouve immortalisé par la figure de l'ami exemplaire. Depuis la mort de son ami, Montaigne ne vit plus qu'à moitié. Chacun connaissait si parfaitement l'autre qu'il pouvait expliquer la moindre de ses actions. [...]
[...] Celle-ci n'a point d'autre idée que d'elle-même, et ne se peut rapporter qu'à soi. Ce n'est pas une spéciale considération, ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c'est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange, qui, ayant saisi toute ma volonté, l'amena se plonger et se perdre dans la sienne; qui, ayant saisi toute sa volonté, l'amena se plonger et se perdre en la mienne, d'une faim, d'une concurrence pareille. Je dis perdre, à la vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien, ou mien. [...]
[...] Plus loin, Montaigne revient sur cette idée d'alliage : "C'est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange qui, ayant saisi toute ma volonté, l'amena à se plonger et se perdre dans la mienne". La répétition symétrique des termes permet de signifier l'égalité et la réciprocité totales de cette amitié qui est parfaite communication, alors que, dans les autres relations, règne souvent l'incompréhension. La véritable amitié change le sens des mots, et fait en particulier disparaître les notions d'identité et d'altérité : "Je dis perdre, à la vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien ou mien". [...]
[...] Enfin, l'événement est interprété à postériori : "ayant si peu à durer" ; en effet, Montaigne ne pensait pas, en rencontrant La Boétie, qu'il mourrait si tôt. Cette réinterprétation crée une dramatisation qui renforce l'idée de prédestination : "elle n'avait point à perdre du temps". Montaigne répond ici à l'idée d'Aristote, selon laquelle l'amitié a besoin de temps pour se construire Une amitié unique Cette amitié est unique. En témoigne leur mutuelle reconnaissance lorsqu'ils se rencontrent "en grande fête et assemblée nombreuse", alors qu'ils ne se sont encore jamais vus. [...]
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