Seul ouvrage de Montaigne (1533-1592), les Essais sont la première œuvre philosophique et autobiographique en langue française. Rédigés à partir de 1572 et corrigés plusieurs fois pour paraître selon quatre éditions jusque 1588, ils portent bien leurs noms car il s'agit d'une œuvre, écrite « à sauts et à gambades », sans cesse reprise et remaniée. Nés de l'expérience de la mort de son ami La Boétie, l'œuvre témoigne d'une recherche de soi et d'une volonté de laisser trace des réflexions de son auteur.
Dans cet incipit, « Au lecteur », trois pronoms prédominent : le « je » de l'auteur-narrateur-sujet, le « tu » du lecteur destinataire et le « il » du livre. C'est ce rapport entre les trois qui constitue l'intérêt majeur de cette préface argumentée qui est bien plus qu'une simple présentation du projet.
Quel projet autobiographique Montaigne propose-t-il dans son avis « Au lecteur » ? Dans quelle mesure instaure-t-il un contrat de lecture et un rapport au lecteur tous deux originaux ?
[...] Il s'agit d'un projet original et courageux défini et c'est peut-être là que réside toute la saveur- de cette préface dans un perpétuel souci d'opposition, d'innovation. Montaigne ouvre par là la voie aux plus grands textes autobiographiques français qui s'y référent, s'y démarquent, s'y opposent. Les Confessions de Rousseau, autre grande autobiographie, dès leur titre, proposent par exemple une autre approche de l'écriture de soi qui se place sous le signe de la justification. Mais dans chacune des œuvres, la question du rapport entre écriture autobiographique et sincérité est posée. [...]
[...] Peut-être existe-t-il aussi une certaine ambivalence chez l'auteur qui devant la nouveauté de son projet cherche à prévenir les critiques et à anticiper les déceptions éventuelles de la part de son lectorat. Cette position ambivalente, par son caractère intrigant, peut aussi faire figure de moyen de séduction, la préface remplissant ainsi le rôle de captatio benevolentiae. Au demeurant, Montaigne, dans sa singularité, s'adresse à chacun de ses lecteurs dans sa particularité, dans sa sensibilité propre. Ne cherche-t-il pas ainsi à s'adresser à un lecteur idéal, capable de le comprendre ? [...]
[...] La peinture du moi est bien mise en évidence, mais elle n'est proposée qu'à certaines conditions. II. L'authenticité en question ou les exigences esthétiques des Essais A. La garantie de bonne foi C'est ainsi que commence l'avis au lecteur : c'est ici un livre de bonne foi, lecteur Pour cette exigence que se fixe le narrateur, le lecteur, apostrophé, est pris à témoin. L'importance de la bonne foi - le terme vient du latin fides qui signifie foi, confiance est revendiquée par la position de l'expression dans la première phrase. [...]
[...] Montaigne, auteur, narrateur, sujet du livre est bien le personnage central des Essais. Cela est mis en valeur dans les deux expressions mentionnées ci-dessus. Dans la première : je suis moi-même la matière de mon livre le pronom personnel de la première personne est utilisé à la fois comme pronom sujet de la phrase, mais aussi comme attribut. À cela s'ajoute l'adjectif possessif mon Dans la seconde expression, c'est moi-même que je peins la structure des pronoms est construite d'une manière quasi similaire. [...]
[...] Et autrui n'est autre que son lecteur. La seule contrainte à la sincérité inhérente au genre autobiographique est donc la bienséance. La décence est donc la seule limite, contrainte présentée comme extérieure à l'intention de l'auteur-narrateur à sa bonne volonté de sincérité. Sa garantie de bonne foi ce dernier la revendique dans l'expression binaire : tout entier et tout nu Si l'engagement de transparence n'est pas totalement respecté, la faute n'en revient donc pas à un auteur de bonne volonté, mais à une exigence extérieure. [...]
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