Le schéma traditionnel de la plupart des comédies de Molière est l'amour de deux jeunes premiers contrarié par un individu dont le mariage dépend. Il est bien appliqué dans Tartuffe, où l'union de Marianne et Valère est compromise par un père dévot, Orgon. Toutefois, sous cette intrigue conventionnelle, se précise une dénonciation de la fausse piété et des excès de la religion : en effet, Orgon est plus ou moins le pantin d'un hypocrite, Tartuffe, qui s'immisce chez lui pour régir la vie de la maisonnée. Comme les choses se gâtent, Tartuffe, qui est allé dénoncer Orgon auprès du roi pour une affaire compromettante, revient accompagné d'un officier de police (...)
[...] Dès lors, Tartuffe et Orgon jouent le rôle de dévot, l'un par intérêt, l'autre par peur. Ceci amène à s'interroger sur le concept d'illusion théâtrale. Tartuffe est une pièce classique dont la portée est à tout le moins profonde, ceci a été assez dit : à cette mouture s'ajoute une dimension baroque, dont l'hypocrisie est le thème par excellence, puisqu'elle est une question d'apparence. Comme chacun sait, le baroque, antérieur au mouvement classique, peut être rendu par trois caractéristiques : l'être et le paraître, le théâtre dans le théâtre et le surnaturel. [...]
[...] Comme les choses se gâtent, Tartuffe, qui est allé dénoncer Orgon auprès du roi pour une affaire compromettante, revient accompagné d'un officier de police. De fait, les scènes 6 et 7 de l'acte le dénouement, sont un moment de tension après lequel les craintes se dissipent : malgré son droit armé (v. 1845), c'est Tartuffe qui est arrêté et la justice royale triomphe. La famille réconciliée peut alors festoyer en l'honneur de cette victoire double : celle de la justice pour Orgon et celle de l'amour pour le couple. [...]
[...] Mais pourquoi donc l'officier laisse-t-il Tartuffe jouir de la chute de la famille, alors qu'il aurait pu directement l'arrêter ? C'est peut-être pour mieux le ridiculiser : la dislocation du vers 1903 suscité a bien entendu un effet comique, et Tartuffe, ne s'attendant pas à une telle issue, s'exprime de façon syncopée ; il s'étrangle de surprise. C'est aussi pour voir l'impudence aller jusqu'au bout »(v.1931), et par là même, jusqu'où cette affaire aurait pu être menée : c'est pourquoi la réjouissance qui suit demeure nuancée par cette ombre dramatique. [...]
[...] Et puis, l'attitude de Valère est révélatrice : son discours est encombré des relatives, masqué par des prépositionnelles, caché par des circonstants. Par exemple, un syntagme nominal s'étend sur deux vers (v.1830, cité plus haut). La façon dont il évite de parler de l'erreur d'Orgon est intéressante : J'ignore le détail du crime qu'on vous donne (v.1841) permet de déculpabiliser Orgon, le verbe donner plutôt imputer à caractère trop juridique, adoucit l'accusation. Comme Molière était dans l'obligation de préciser le discours de Tartuffe par didascalie (c'est un scélérat qui parle) Valère précise bien un dit-il »(v.1839) pour signifier le discours indirect : il ne fait que rapporter les paroles de l'imposteur. [...]
[...] Toujours ce comique de répétition. Pernelle ne reconnaît l'imposture que lorsqu'elle en a des preuves palpables. Et le lien à la philosophie de Descartes, condamnant toute épistémologie empirique : en effet, par l'exemple des mirages, il démontre que la connaissance ne s'acquière, au bout d'une remise en question totale, que par la voie de la raison. Il faut se méfier des apparences, c'est ce que Cléante dit tout au long de la pièce ; le problème, c'est que Tartuffe a réussi à détourner ce précepte : et je l'ai mis au point de voir tout sans rien croire (acte IV,5). [...]
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