La première caractéristique de Don Juan qui est évoquée est son impiété : cela peut paraître étonnant, car la réplique de Gusman porte essentiellement sur les marques d'amour affectées par Don Juan pour faire sortir Done Elvire du couvent et la persuader de l'épouser : la réponse de Sganarelle aurait dû commencer par une reprise du thème du séducteur (...)
[...] C'est par rapport à Don Juan que Sganarelle se définit, comme le montre son portrait en creux dans cette tirade. La description de son maître absorbe totalement Sganarelle et le met en verve, l'incitant à de longues périodes et des accumulations d'expressions qui paraissent sans fin : ce n'est d'ailleurs qu'à l'arrivée de Don Juan que Sganarelle cesse de pérorer. Comme Don Juan, Sganarelle cherche à exercer sa domination par les mots. Face à un valet ignare, il utilise la maigre science qu'il a pu acquérir auprès de Don Juan et truffe son discours de termes recherchés et de références savantes destinées à impressionner son interlocuteur. [...]
[...] Les points communs entre ces deux portraits sont nombreux, même au niveau formel, car les rythmes ternaires et les énumérations se trouvent dans les deux discours. Le spectateur est donc amené à reconsidérer la tirade de Sganarelle après coup, comme une copie, bouffonne dans ses excès, de la tirade de Don Juan. La fascination que le libertin peut exercer sur le valet apparemment défenseur des valeurs morales et chrétiennes invite à penser que rien ne peut résister à Don Juan, et le spectateur est incité à partager cette admiration : la pièce, malgré le châtiment final réservé à Don Juan, ne peut donc se lire comme un texte moral, et la tirade de Sganarelle dans la scène d'exposition est polémique. [...]
[...] La scène se place ainsi dans le registre polémique, le libertin prenant le dessus sur les principes moraux et religieux, et cela d'autant plus que Sganarelle, censé défendre la foi chrétienne, est en fait un être superstitieux et immoral. Les dévots du XVIIème siècle ont bien compris que Molière bafouait l'autorité religieuse et par les attaques du libertin, et par la défense maladroite de Sganarelle ; dès la seconde représentation, certains passages étaient censurés, et très vite la pièce disparut de l'affiche, subissant une censure royale officieuse, sous la pression de la Compagnie du Saint- Sacrement. [...]
[...] Un être peureux La moralité de Sganarelle est aussi sujette à caution. Ainsi, il fanfaronne devant Gusman, en mettant en avant sa familiarité avec Don Juan et la connaissance qu'il a de lui : je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi je t'apprends, inter nos tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse ; crois qu'il aurait fait plus pour sa passion [ ; il se montre condescendant, faisant à Gusman une confidence fier d'avoir matière à pérorer, et heureux de pouvoir étonner son interlocuteur. [...]
[...] Cette scène d'exposition est aussi l'occasion pour Molière de faire le portrait du héros avant son entrée en scène, par l'intermédiaire de son valet. Ce portrait peut sembler superflu, le public connaissant déjà le personnage, à la mode au XVIIème siècle, et Don Juan faisant lui-même son portrait dans la scène suivante. Quel est donc l'enjeu réel de cette présentation du maître par son valet ? Nous étudierons tout d'abord le personnage de Don Juan tel que le présente Sganarelle ; nous nous intéresserons ensuite à ce que la tirade nous révèle de son auteur : le valet lui-même. [...]
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