Si le premier acte du Misanthrope permet, en confrontant Alceste à Philinte puis à Oronte, de présenter et définir le caractère du protagoniste et d'expliquer, par la même occasion, le titre de l'œuvre, l'acte II est davantage centré sur le personnage de Célimène, puisque cette dernière est présente tout au long des six scènes qui le composent. Après une longue dispute avec Alceste, qui lui reproche de manifester des bontés à l'égard du moindre de ses amants (scène 1), et entre diverses scènes de transition visant à introduire les marquis (scènes 2 et 3) ou à obliger Alceste à quitter les lieux (scènes 5 et 6), la scène 4, généralement nommée « scène des portraits », fait de Célimène un personnage central qui dénigre avec un talent consommé, pour mieux éblouir ses admirateurs, les gens qui la fréquentent. Cette scène réunit ainsi la plupart des personnages de la pièce – précisément sept sur onze, et les plus importants – mais ne fait pourtant le portrait que des absents, à l'exception d'Alceste, traité différemment nous le verrons. Peu comique, elle vise essentiellement à mettre en évidence des défauts mondains – et se fait en cela satire des mœurs – tout en offrant à Alceste une seconde occasion de se montrer excessif et « misanthrope » en s'opposant à l'ensemble des personnages de la pièce. Nous nous interrogerons donc sur l'articulation du théâtre et de l'art du portrait: comment ce jeu de salon, à la fois pause descriptive et art précieux, au lieu de retarder la progression de l'intrigue, permet-il au contraire de donner du rythme à la scène et de dévoiler la personnalité de celui qui décrit, plus que de celui qui est décrit, tout en interrogeant les pouvoirs du langage ?
Après avoir analysé le genre du portrait, ses codes et son fonctionnement au sein d'une scène théâtrale, nous envisagerons les portraits proposés par Célimène comme autant d'outils dramaturgiques au service de la révélation de l'intériorité de ce personnage central, avant de mesurer la portée métalinguistique d'une telle scène, qui interroge le pouvoir et la portée du langage.
[...] Ici, le portrait se fait particulièrement cassant, plus qu'amusant, comme le montre dès le premier vers l'adjectif sec suivi d'un point d'exclamation. Quant à la supériorité, elle se remarque dans le deuxième vers de ce portrait elle vient me voir montre bien qu'en aucun cas ce ne pourrait être à Célimène de se déplacer) mais également dans sa propension à monopoliser la parole, comme le montre la brièveté des intervention de Philinte ou d'Eliante par exemple : lorsqu'ils émettent un avis sur quelqu'un Il prend soin d'y servir des mets fort délicats au vers 627 ou Je le trouve honnête homme et d'un air assez sage au vers 633), elle ne leur laisse pas le temps de s'étendre et leur coupe brutalement la parole à l'aide d'un Oui, mais (vers 628 et 634) qui se veut péremptoire. [...]
[...] C'est pourquoi elle enrage au vers 634 : tous deux ont le même terrain de jeu, ce qui la met dans une situation inconfortable puisque, comme on l'a vu, elle souhaite avant tout dominer et avoir l'exclusivité des bons mots. Et la conclusion d'Acaste est à ce titre révélatrice : Dieu me damne ! Voilà son portrait véritable peut en effet être à double entente et s'appliquer autant à Damis qu'à Célimène, puisque le déterminant son peut être anaphorique du personnage décrit comme du personnage qui décrit. [...]
[...] mais vis-à-vis d'eux mêmes. Seule Bélise n'est pas dénigrée en raison de la vanité ou de l'excès de ses propos, mais au contraire par leur absence (elle semble en cela le pendant féminin d'Oronte, qui ferait mieux de ne pas se mêler d'écrire, selon Alceste, puisqu'il a si peu de choses intéressantes à dire : elle, ferait mieux de s'abstenir de rendre des visites, selon Célimène, puisqu'elle n'a rien à raconter), et le contrepoint qu'elle offre aux personnages précédemment cités nous montre que la conversation idéale se situe justement entre ces deux extrêmes, dans la mesure, notion phare du XVII° siècle. [...]
[...] La scène des portraits n'ayant pour le personnage de Célimène pas d'autre but, on ne peut que voir en Damis un autre Célimène. Elle semble par ailleurs lui reprocher un manque de naturel : On voit qu'il se travaille à dire de bons mots et Depuis que dans la tête il s'est mis d'être habile ; par ses expressions, on imagine un être qui renonce à la simple conversation pour lui préférer la recherche forcée de pointes, comme c'est le cas dans le salon de Célimène où chaque nouvel élément n'est qu'un prétexte à l'expression de la virtuosité verbale de la maîtresse de maison. [...]
[...] Nous étudierons donc ici comment, à travers des portraits alibis, Célimène se découvre au spectateur. Implicitement, nous assistons à un dixième portrait : celui de Célimène. Célimène, femme du monde et coquette Les portraits d'autrui révèlent, par opposition avec son caractère ou par leur construction, les qualités et les défauts de Célimène. L'aisance qu'elle affiche est avant tout preuve qu'elle maîtrise l'esthétique classique et l'art oratoire : elle introduit son personnage, montre son expérience à l'aide de la mise en situation puis explique cette attitude par le caractère. [...]
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