Centrée sur un caractère, "Le Misanthrope" met en scène un personnage dont la spécificité est de dénoncer les travers de la société et de se démarquer par son comportement de certains usages de cette société, de sorte que c'est un personnage qui fait réagir non seulement le spectateur mais aussi les personnages qui le côtoient sur scène.
C'est ainsi qu'à l'ouverture de l'acte IV, Eliante et Philinte sont conduits à commenter l'attitude d'Alceste, en l'occurrence son attitude devant le tribunal des Maréchaux faisant suite à la querelle du sonnet l'opposant à Oronte (déclenchée à la scène 2 de l'acte I) dont Philinte rend compte au début de la scène.
Cette scène se présente sous la forme d'une conversation entre les deux raisonneurs qui évoquent progressivement les personnages principaux de la pièce. Dressant un premier bilan de l'action – la querelle du sonnet dont on apprend l'issue – elle pourrait donc constituer une pause dans l'action. En réalité, elle tisse un nouveau fil de l'intrigue puisqu'à travers leurs aveux respectifs, les personnages introduisent de nouveaux enjeux dans la pièce.
[...] Scène de registre plutôt sérieux, de haute tenue sur le plan du langage, cela renvoie bien à l'ambition de la grande comédie et à la spécificité du Misanthrope, dont le comique tend bien souvent à passer au second plan. [...]
[...] Serait-ce parce qu'ils savent mettre en retrait leur amour propre qu'ils apparaissent, plus qu'Alceste, susceptibles de donner corps à ces valeurs ? Conclusion Dans cette scène, Molière joue peut-être avec une convention théâtrale qu'il a lui-même instaurée, celle qui repose sur l'échange entre les confidents, en l'occurrence les raisonneurs. Ici leur rôle ne se limite pas à commenter l'action, l'auteur leur donne une véritable épaisseur psychologique et les dote d'un rôle au sein de l'intrigue. Mais ce rôle ne se limite pas à compliquer l'intrigue principale, par les vues sur la société que tous deux développent, par la mise en œuvre d'une certaine éthique qu'ils réalisent au sein de la conversation, ils enrichissent les débats auxquels la pièce donne lieu et enrichissent ainsi son interprétation. [...]
[...] Conclusion II : Eliante et Philinte parviennent finalement dans cette scène à montrer un autre usage de la conversation, une conversation qui semble concilier avec succès le respect des usages de la civilité et l'expression des sentiments dans la sincérité. Et c'est peut-être justement cette civilité qui permet de dire vérité (vers 1187). Pour le spectateur du Misanthrope, le couple de raisonneurs parvient ainsi et de façon quelque peu inattendue à renouveler l'image qui se dégageait de la conversation mondaine, le couple en acquiert dès lors un statut différent. [...]
[...] En outre, la scène a peut-être un impact plus immédiat sur l'action principale : à la scène suivante, Eliante refuse la proposition qu'Alceste lui fait de l'épouser Eliante et Philinte : des personnages plus complexes parallèlement à leur entrée dans l'action Tous deux sont peut-être moins transparents qu'ils ne le paraissent de prime abord : La réaction d'Eliante à l'aveu de Philinte (vers 1163) peut surprendre et témoigner d'une contradiction entre son discours et son être : dans sa première réplique elle fait l'éloge d'Alceste au nom de la sincérité c'est une vertu rare au siècle d'aujourd'hui vers 1167) qu'elle regrette donc, au vers 1192 elle se présente elle-même comme une personne de bonne foi, pourtant elle repousse de façon cavalière l'aveu de Philinte ; Philinte, quant à lui, s'il dévoile ses sentiments, ne le fait peut-être pas au hasard de la conversation, une conversation qu'il conduit et oriente de bout en bout. Or depuis la scène 1 de l'acte I on est informé de ses sentiments pour Eliante. [...]
[...] La scène parcourt une gamme de sujets conjoints : la singularité d'Alceste, ses amours avec Célimène, les sentiments de Céimène Les personnages échangent des opinions qu'ils revendiquent : Eliante Pour moi vers 1191, Philinte Et moi vers 1203. Dans le respect de la parole de l'autre, ils assument la part de subjectivité de leurs propos et ne les présentent pas comme un absolu, comme la vérité. Ils font ainsi preuve de modération (emploi de la modalisation vers 1200), veillent à ne pas heurter les sentiments de l'autre (Philinte, vers 1203 à 1206) et font donc preuve de civilité dans leur échange. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture