Le texte étudié est extrait de la scène 1 de l'acte premier du Malade imaginaire de Molière, l'une de ses « comédies mêlées de musique et de danse ». Ce fameux mélange des genres se trouve d'emblée mis en application dans le prologue. Des louanges y sont chantées au roi, et l'on apprend que celui-ci est le commanditaire de l'oeuvre, ancrée dans son temps à travers des références historiques et sociales à l'époque. La fervente glorification de Louis XIV à travers les divers ballets de l'ouverture est interrompue, et une brève pastorale, « l'autre prologue », présente ensuite le monologue plaintif d'une bergère en mal d'amour, fustigeant les médecins et leurs faux savoirs. Elle annonce le caractère éponyme qui va être mis en scène : celui du « malade imaginaire », qu'elle dénonce dans sa crédulité face aux assauts des médecins. Elle introduit ainsi le thème de la comédie qui peut alors débuter. Quant au passage qui suit l'extrait que nous allons étudier, il présente la servante, Toinette, enfin accourue auprès du malade, et confrontée à la colère et aux jurons de celui-ci, tout en lui tenant tête. Passons à notre texte, débutant au cours de la première scène. Molière y ouvre la pièce avec le monologue du personnage principal, Argan, plongé dans ses comptes. Pas n'importe lesquels, puisqu'il comptabilise les traitements qu'il a pris au cours du mois écoulé. Pour ce faire, il reprend les « parties » du mémoire de son apothicaire, jetons en mains, et les commente.
La spécificité de cette scène se concentre à première vue dans la forme, mais aussi dans le contenu, et se révèle être aussi complexe que le personnage, fou ridicule et despote capricieux. Nous pouvons y distinguer trois mouvements. Le premier, constituant la majeure partie de la scène (et ayant débuté avant l'extrait lui-même), montre un Argan calculateur, aimant à se remémorer ses traitements passés. Le second, où il effectue le total de ces additions de soins et de leurs prix, accompagné d'un bilan de son état de santé qui fait apparaître sa lubie. Enfin, la scène s'achève sur un Argan en proie à la panique face à la solitude, à l'abandon auquel il est soumis et permet d'identifier pleinement l'hypocondrie. Nous allons donc mettre en exergue la manière dont cette scène d'exposition originale, qui semble ne pas remplir sa fonction, tant par sa forme que par son contenu, nous amène paradoxalement in media res, montrant ce qui constitue le coeur de la pièce, c'est-à-dire le corps d'Argan, et présente le personnage principal à travers son discours. (...)
[...] Mais il n'en est pas moins ridicule, et donc comique. Ce mouvement montre un personnage narcissique, atteint d'une folie douce hypocondriaque et despote à la fois car tous doivent se soumettre à son désir obsessionnel. Un personnage aux revirements surprenants dans son comportement ce qui lui confère un autre aspect comique, par la surprise qu'il produit. Nous avons donc à faire ici à une exposition paradoxale : à la fois au coeur du sujet de la pièce par la mise en place de divers procédés, et en dehors de l'intrigue, n'y présentant aucun enjeu dramatique. [...]
[...] Argan se veut objet, de la médecine, et clochette. Ce mécanique plaqué sur du vivant et l'automatisme dans son langage lui confèrent un caractère comique et extravagant. Ajoutons à cela que, selon Hippocrate, dans l'aphorisme VI l'hypocondrie est la forme la plus élaborée de la mélancolie et est caractérisé par la bipolarité humorale et morale du patient. C'est bien ce qu'on a pu voir dans cet extrait. Un Argan capricieux et autoritaire, qui passe du plaisir fou à l'angoisse paranoïaque d'hypocondriaque. [...]
[...] Plus le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. Monsieur Fleurant, dix sols. L'adjectif carminatif vient du latin carminare c'est à dire carder, nettoyer Il indique la fonction purgative du clystère, on a donc un pléonasme. L'adjectif ne fait que renforcer le langage pédant de la médecine. L'euphémisme des vents pour les gaz intestinaux, les flatulences du corps, atténue la bassesse de celui-ci, de même que l'emploi de clystère mot technique pour lavement qui lui est un mot bas Cette liste relue par le personnage présente des purges et des clystères à foison. [...]
[...] Le client est roi, comme le malade est roi dans le troisième mouvement. Bon, dix sols. Cet extrait contient de nombreuses redondances de termes, puisqu'Argan suggère le même tarif à plusieurs reprises, soit dix sols ou encore trente sols Répétitions qui confèrent une puissance comique importante aux comédies. En effet, selon Bergson, la répétition fait rire, car elle soupçonne du mécanique derrière du vivant des automatismes insérés dans du vivant. Plus, une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoard, sirop de limon et grenade et autres, suivant l'ordonnance, cinq livres. [...]
[...] Le malade imaginaire est démasqué, aux yeux du spectateur, grâce à la double énonciation. L'écriture de l'extrait, en prose, accentue l'effet d'accumulation, du flot de paroles et de calculs ainsi que la nervosité du personnage. De plus, la parataxe de segments construits symétriquement (lecture de la note contenant le nom du produit, sa fonction, son prix et la date; suivie d'un commentaire et d'une correction du prix par Argan), de même que son langage saccadé, vif, montre un Argan impatient, décidé, exigeant, tout comme dans la suite de l'extrait. [...]
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