Molière (1623-1673) est le plus grand dramaturge de l'époque classique, dans l'acception la plus pertinente de ce terme ; en effet il fut auteur, metteur en scène, directeur de troupe et acteur, et c'est sur scène qu'il trouva la mort. Dom Juan (1665) apparaît cependant comme une pièce de théâtre atypique au regard de son oeuvre. Publiée et jouée après la querelle du Tartuffe, c'est une comédie qui déborde largement des canons classiques, et qui met en scène un personnage et un grand thème baroques : le libertin et l'inconstance.
Dans la seconde scène du premier acte, nous découvrons le héros éponyme qui fait devant son fidèle valet Sganarelle son propre portrait de séducteur.
Cette scène semble présenter un orateur habile et provocateur, qui confirme le portrait qu'en avait fait son valet dans la première scène, mais qui justifie son comportement.
Nous verrons dans un premier temps que Dom Juan fait son autoportrait, celui d'un libertin éloquent et cynique, puis qu'il propose un éloge de l'inconstance qui peut paraître choquant pour l'époque.
I ? L'autoportrait d'un esprit libertin et cynique :
l'opposition de deux caractères : Cette scène d'exposition présente une situation assez habituelle dans une comédie avec le maître et son valet, qui est aussi son confident et son contradicteur. La première réplique de Dom Jun indique qu'il veut entendre ce qu'il sait déjà, et ce que tout un chacun pense de lui. (...)
[...] une justification ironique : Le héros veut rendre hommage à la beauté des femmes. Mais il emploie un vocabulaire juridique ironique : ont droit justes prétentions faire injustice mérite Puis il fait l'éloge du charme féminin et de sa séduction, puisqu'il n'emploie jamais les mots femmes ou jeunes filles mais les substituts beautés belles ou objet Leurs atouts sont leur charme et leurs scrupules Il se peint alors comme un homme qui répond simplement à leur demande, comme le montrent les verbes entraîne ou oblige qu'il emploie deux fois, ou la négation je ne peux refuser mon cœur Ce sont les femmes qui demande[ent] Mais plus loin il indique qu'il faut la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. [...]
[...] - En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je n'approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous côtés comme vous faites. DOM JUAN. - Quoi? Tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux! [...]
[...] Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. [...]
[...] Jean Baptiste Poquelin, dit Molière (1623-1673), Dom Juan ou Le Festin de pierre,1665. Acte scène extrait. DOM JUAN. - Eh bien! Je te donne la liberté de parler et de me dire tes sentiments. SGANARELLE. [...]
[...] Mais ce dernier lui donnait une connotation péjorative, tandis que Dom Juan se peint avec une certaine grandeur d'âme, non sans cynisme. Nous entrevoyons pour la première fois dans la pièce le séducteur amoureux, mais nous sentons déjà qu'il est capable de séduire tout un chacun, par sa marginalité et son intelligence, par son langage aussi. L'éloge paradoxal est un motif qui est déjà présent dans la littérature française de la Renaissance, par exemple dans les contes rabelaisiens, mais dans cette même pièce, Molière l'utilise à nouveau dans l'acte lorsque le héros fait l'éloge de l'hypocrisie, devant son confident encore une fois médusé. [...]
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