Lorsque Molière crée en 1662 L'École des femmes, sa première grande comédie, la pièce est un triomphe mais suscite aussi des réactions très vives. La polémique est telle que Molière écrit l'année suivante La Critique de L'École des femmes, brève comédie qui met en scène un débat opposant partisans et adversaires de la pièce. C'est l'occasion pour Molière bien évidemment de défendre sa pièce et de se moquer de ses ennemis, mais aussi de réfléchir plus largement à sa tâche d'auteur comique, car « c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens ».
Dans ce passage, Dorante et le Marquis s'affrontent, au cours d'un dialogue comique, au sujet de la pièce : alors que le Marquis la juge détestable, Dorante se livre à une critique des mauvais spectateurs. Comment ce dialogue de comédie aux accents satiriques offre-t-il une réflexion sur l'attitude du spectateur et sur le théâtre ?
[...] Dorante Ris tant que tu voudras ; je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui décident toujours, et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui dans une comédie se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons ; qui voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâment de même, et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. [...]
[...] Une charge sociale Le débat entre Dorante et le Marquis permet à Molière de revenir sur les critiques qu'il a essuyées et de présenter différentes attitudes possibles pour le spectateur de comédie. Cette réflexion n'est pas dénuée d'une dimension sociale. En effet, bien que Dorante soit lui-même chevalier et donc noble, l'opposition entre ce personnage et le Marquis recouvre une opposition entre le parterre et le public aristocratique. Par le biais d'une périphrase ironique, Dorante se moque de ces Messieurs du bel air qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun Il critique ainsi le mépris affiché pour les goûts et les réactions du parterre composé d'un public populaire. [...]
[...] Surtout, il tourne en ridicule l'adversaire de L'École des femmes en jouant ironiquement sur les mots. Il déclare ainsi que la caution n'est pas bourgeoise en reprenant l'expression courante de caution bourgeoise pour souligner que le jugement de l'aristocrate est ici infondé. De même, il se moque de son argument d'autorité fondé sur l'avis de Dorilas, à côté de qui il a vu la pièce, en jouant sur le sens propre et sur le sens figuré du verbe appuyer: L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé. [...]
[...] Le théâtre dans le théâtre L'intrigue même de La Critique de L'École des femmes joue sur le procédé du théâtre dans le théâtre. En effet, Molière crée cette pièce après L'École des femmes et met en scène des personnages qui viennent d'assister à sa propre pièce et en débattent. Comme l'affirme Dorante dès la première réplique, la comédie a effectivement déclenché une polémique, il s'agit d'une : matière qui [ . ] fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris La scène est donc donnée comme tout à fait réaliste, le spectateur de l'époque peut voir dans cette pièce comme un miroir de ses propres réactions. [...]
[...] Conclusion Le débat entre Dorante et le Marquis est l'occasion pour Molière de ridiculiser ses adversaires qui, dès L'École des femmes, commencent à attaquer le dramaturge et dont la puissance ne cessera de s'affirmer au fil des années. Cependant, au-delà de la satire; La Critique de L'École des femmes lui permet aussi de réfléchir aux enjeux de la comédie. Dans ce passage jouant des possibilités offertes par le théâtre dans le théâtre, Molière oppose deux types d'attitude de la part du spectateur de comédie et révèle également la perméabilité des frontières entre réalité et théâtre. Comme dans l'esthétique baroque, l'auteur suggère que si le théâtre évoque la réalité, celle-ci s'apparente aussi bien souvent à une vaste comédie. [...]
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