Les 32 frontispices, gravures à l'eau forte des Comédies de Molière, éditées en 1734 sont considérées aujourd'hui comme un des chefs-d'oeuvre du peintre François Boucher et du graveur Laurent Cars. Elles sont à l'origine du succès de cette édition qui sera à plusieurs reprises reproduite. Nous analyserons en particulier les frontispices de trois comédies de Molière : Le Médecin Malgré lui, Les Précieuses ridicules et Les Femmes savantes. Ces gravures présentent un rapport intéressant de l'image au texte, puisqu'elles ne sont pas contemporaines de l'époque de Molière. C'est le texte qui préexiste à l'image. François Boucher et Laurent Cars s'approprient donc les comédies de Molière afin d'en représenter une interprétation subjective et imaginaire. Le support principal de la création réside ainsi dans les pièces de Molière, mais nous verrons que d'autres motivations semblent être également à l'origine des illustrations. On peut alors se demander comment ces frontispices répondent à la fois à une esthétique du « théâtral » et à la mode picturale du XVIIIème siècle. Comment décrire l'échange esthétique entre la scène et la peinture ? Il apparaît tout d'abord que le frontispice a une situation particulière au sein de l'édition théâtrale dans le sens où il peut illustrer le texte soit comme récit écrit soit comme représentation théâtrale. Les gravures des pièces de Molière sont dès lors animées par une esthétique du « théâtral » puisque les codes scéniques et les stéréotypes des personnages sont respectés. Pourtant les frontispices répondent aussi à une autre motivation, celle d'illustrer la mode picturale du XVIIIème siècle.
I- Les enjeux du frontispice de la pièce de théâtre
On constate une ambivalence du frontispice illustrant la pièce de théâtre. Il est relais du spectacle au livre, et inversement du texte dramatique au souvenir visuel. Il est intéressant de voir alors comment les illustrations se trouvent conditionnées par d'éventuelles représentations et par les indications du texte lui-même.
A) Du spectateur au lecteur : une fonction de relais
La gravure de théâtre est destinée à être découverte par un lecteur qui le plus souvent au XVIIIème siècle a vu la représentation de la pièce avant de la lire. Elle a une vocation à se diffuser, et à être reconnue du public de la pièce. Les frontispices font donc office de relais entre la représentation théâtrale et l'oeuvre. François Boucher crée donc des dessins dont la finalité est de transformer le lecteur en véritable spectateur(...)
[...] Il s'agit donc d'une influence picturale sur la représentation du théâtral. Cependant certaines conventions esthétiques vont plus loin : elles modifient des éléments obligatoires ou historiques du théâtre au profit de la beauté des illustrations. Celles-ci présentent la plupart des personnages la bouche fermée, ou peu ouvertes, ce qui est contraire au théâtre où les personnages doivent élever la voix. On peut repérer un autre souci esthétique : le refus de l'artiste de représenter les spectateurs sur des banquettes le long de la scène. [...]
[...] On sait d'ailleurs que c'est Molière qui inventa la mise en scène en subordonnant le jeu de chaque comédien à l'effet d'ensemble de la représentation. Il insistait sur la nécessité pour les acteurs d'entrer dans le caractère de leur personnage. Alors qu'à l'époque de Molière ce sont les lazzis et les costumes caricaturaux qui définissent les caractères des personnages, ce sont davantage leurs accessoires, leur mobilier et leur gestuelle dans les gravures dessinées par Boucher qui permettent aux lecteurs de reconnaître les stéréotypes moliéresques. [...]
[...] On peut donc voir dans les gravures de François Boucher et Laurent Cars des répliques du texte moliéresque, mais aussi des indices référentiels aux représentations théâtrales. Il s'agit 1 Voir les annexes : pages et donc pour le dessinateur de faire de l'illustration un vrai espace de représentation devant lequel le lecteur devient spectateur. Nous pouvons dès lors déterminer ce qui relève d'une esthétique du théâtral dans les gravures, c'est-à-dire quels sont les éléments qui appartiennent à la scénographie et au jeu théâtral. [...]
[...] Du texte à l'image : des scènes identifiables Non seulement le frontispice pour François Boucher doit convoquer pour le lecteur d'éventuels souvenirs de représentations théâtrales, mais il doit aussi être une fidèle interprétation du texte dramatique. Les frontispices qui nous intéressent mettent donc en parallèle la représentation et le texte. Il s'agit bien d'images entretenant un rapport évident avec les textes de Molière et particulièrement avec les didascalies. Grâce à une fidèle 4 interprétation du texte, on peut identifier les scènes en question1. [...]
[...] Quant aux hommes, excepté Sganarelle, ils portent une veste superposée sur un justaucorps, une culotte fermée sur le genou par une boucle, des bas de couleurs blanches ou claires et des souliers à bouts arrondis. Ils portent soit une perruque, soit les cheveux frisés et relevé sur le front comme Valère. Ce dernier porte d'ailleurs à la main un chapeau d'époque, le tricorne. Pour le lecteur contemporain de Boucher, les costumes donnent une actualité historique aux personnages et permettent au théâtre de Molière une réactualisation. François Boucher choisit donc de montrer de beaux costumes, s'écartant d'une fidélité complète aux textes de Molière mais s'appuyant sur une vraisemblance scénique. [...]
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