La Vie mode d'emploi, Georges Perec, 1978, Michel Picard, vie quotidienne, puzzle, temporalité, quatrième dimension, Ashikage Yoshimitsu, théorie de la forme, sentiment d'incomplétude, Bartlebooth, art
"La littérature est non une chose, bibliothèque, livre, texte, mais une activité. Cette activité est non l'écriture, mais essentiellement la lecture. La lecture littéraire n'est rien d'autre qu'une forme de jeu, l'une des plus complexes et des plus efficaces que notre civilisation puisse offrir. Car le jeu ne se réduit pas à l'amusement, à la distraction, à l'évasion ; sa prétendue gratuité risquerait d'abuser sur sa véritable fonction, littéralement vitale." (Michel Picard, Lire le temps, Minuit, 1989). Dans quelle mesure ce propos semble-t-il pouvoir s'appliquer particulièrement à "La Vie mode d'emploi" de Georges Perec ?
[...] Illustration du parcours de Perec dans l'immeuble (Wikipédia). C'est à cet instant précis que l'œuvre ne peut plus être considérée comme un puzzle ; elle obtient, elle, une quatrième dimension. Le 23 juin 1975, peu avant 20 heures ; ç'aurait dû ça, le repère temporel. Alors pourquoi l'histoire d'Ashikage Yoshimitsu est-elle contée plutôt que celle d'un résident potentiel de cet appartement ? Car, Il n'y a personne au troisième droite nous indique Perec. On soupçonne que la réponse se trouve dans ces mots : Il y a quelques années une dramatique intitulée La seizième lame de ce cube y fut tournée par la télévision [ . [...]
[...] Est-ce vraiment une simple addition d'histoire, ou peuvent-elles vraiment être liées entre elles ? Est-ce un simple jeu, ou bien ce jeu pourrait-il avoir une portée sérieuse ? L'importance de ce jeu à l'œuvre de Perec La forme, c'est le fond qui remonte à la surface (Hugo) Dans ce jeu d'échecs parfaitement orchestré, Perec nous permet enfin de voir l'entièreté de la situation une fois arrivée à la fin : Bartlebooth, Valène, tous deux meurent de la même façon, en effectuant la même action. [...]
[...] Des vies de personnages dont on ne sait s'ils ont vraiment existé ou non ; le mystère reste entier. D'après la théorie de la forme, notre cerveau n`a de cesse de compléter, de rendre cohérent ce qui semble incomplet ou incohérent, en y ajoutant des éléments au besoin : le tout est davantage que la somme de ses parties. À force d'essayer de compléter la forme, le lecteur remarquera quelques liens entre les différents personnages, en particulier entre Winckler et Bartlebooth. [...]
[...] Comme Valène, s'acharnant à force de contraintes et de patience, il tenta de reproduire la vie, de l'immortaliser. Il a ajouté le temps à l'image figée, a changé les pièces du puzzle en des cases définies : a-t-il seulement réussi ? Comme s'estompe doucement l'immeuble parfaitement agencé et esquissé, cette perfection est absolument factice : toute cette histoire, ce n'est qu'une croyance pour se dire qu'on a enfin trouvé le mode d'emploi à la vie. Perec avait, par ses règles, déjà condamné cette œuvre : l'ordre moral, l'ordre logique, l'esthétique. [...]
[...] Seuls les tableaux prennent vie. Du roman à la description, en passant par la nouvelle et les recettes de cuisine, les styles se succèdent sans cohérence apparente, plongeant le lecteur dans une prégnante incertitude. Et pour couronner le tout, la conjugaison n'est pas claire : tantôt présent de l'indicatif, tantôt futur (chapitre 3 : ce sera un salon [ . ] Yoshimitsu lui-même est assis sur ses talons et les pronoms n'étant que des on impersonnels donnent le vertige. Alors le lecteur ne peut que se demander ce qu'il doit bien voir et comprendre. [...]
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