Mithridate, Jean Racine, scène finale, tragédie classique, scène de mort, dénouement, purgation des passions, solennité pathétique, Xipharès, Monime, profondeur humaine, idéal, exemplarité, catharsis, théâtre, commentaire de texte
La tragédie est éminemment liée à la mort, expression ultime de la fatalité des destinées. Plus particulièrement dans le théâtre racinien, celle-ci occupe une place fondamentale : sa présence spectrale plane sur la pièce. C'est par exemple dès l'ouverture de Phèdre, qu'est scellé, conformément à la règle de l'unité de lieu, le destin d'Hippolyte, affirmant dès le premier vers : "je pars, cher Théramène". L'infraction à la règle rend inéluctable sa mort. Dans la scène finale de Mithridate, le personnage éponyme se trouve dans cette position intermédiaire : il s'exprime sur scène au seuil de la mort, après s'être empoisonné et transpercé d'une épée.
[...] Cette expérience théâtrale totale combine la dimension visuelle, l'ouverture de l'imaginaire et une densité concrète de l'expérience, éprouvée presque physiquement. Le récit de Mithridate et sa violence appellent l'imaginaire du spectateur. La mort est omniprésente et la vivacité des images donne presque à sa tirade une valeur ekphrastique. L'usage dominant du passé composé, temps du révolu, assimile presque sa voix à une voix d'outre-tombe, Mithridate parle par-delà la mort. La présence scénique de la mort ouvre donc l'imaginaire du spectateur à travers le discours de Mithridate. [...]
[...] Cette mort en grande pompe est aussi modalisée par l'organisation rhétorique de la première tirade de Mithridate qui, mobilisant de nombreux ressorts tragiques, est propice à émouvoir le spectateur. De la deuxième ligne à la septième ligne, Mithridate introduit son discours par l'appel aux grands sentiments : Et ma gloire, plutôt digne d'être admirée,/Ne doit point par des pleurs être déshonorée. ; de la ligne 8 à la ligne 21, il fait une sorte de bilan sur sa vie qui s'achève et lie son propre destin à l'univers et sa gloire à l'Histoire à travers les pertes infligées aux Romains : Et j'ose me flatter qu'entre les noms fameux/Qu'une pareille haine a signalés contre eux,/Nul ne leur a plus fait acheter la victoire (l.12-15). [...]
[...] Mithridate, dans la durée suspendue de la mort, exprime toute l'étendue de sa passion sanguinaire. Lui-même en train de mourir, il tire son contentement des morts infligés aux Romains : Mais au moins quelque joie en mourant me console : /J'expire environnés d'ennemis que j'immole (l.18-19). Cet autre caractère tragique, selon lequel le destin personnel de Mithridate et le destin historique sont liés dans leur fatalité, exhibe une forme d'hubris dont la monstration a valeur exemplaire. La rhétorique fastueuse de Mithridate dans sa mort, sa démesure, se manifeste de différentes manières. [...]
[...] L'anaphore de vivez met l'accent, au regard du dispositif scénique qu'on peut supposer (Mithridate transpercé d'une épée), sur la vanité de sa parole dont l'imprécation paraît plutôt relever de la convention que d'une émotion véritable. En fait, Mithridate lui-même semble parfois sortir de la dignité chevaleresque du héros tragique au seuil de la mort. Il semble par exemple perdre son esprit combatif et se résigner à l'échec et accepter la victoire des Romains : [ . ] gardez-vous de prétendre/Que de tant d'ennemis vous puissiez vous défendre (l.35-36). Mithridate quitte l'esprit combatif et chevaleresque qui l'anime en prônant la réserve, la fuite et la survie : Allez, réservez-vous . [...]
[...] Le verbe racinien donne toute sa densité à la mort. L'anagramme Rome et mort assure l'omniprésence de celle-ci même dans la dimension sonore de la parole théâtrale. On ressent ce seuil de la mort dans la parole même par les diverses interruptions et alexandrins coupés : cela donne l'impression que le souffle poétique de la régularité harmonieuse est coupé par la mort imminente. Ainsi, cette scène finale de Mithridate, tout en répondant aux canons de la tragédie classique, laisse exister une dimension plus profondément humaine, hors de l'exemplarité. [...]
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