Le Misanthrope a pour sous-titre « l'atrabilaire amoureux ». Cette épithète désigne Alceste, personnage principal amoureux de Célimène, une femme mondaine friande de l'atmosphère de la cour. La mode des salons et de la conversation suscite chez chacun d'eux des réactions différentes : Alceste réprouve ce goût pour la fréquentation du « beau monde », et s'acharne à dénoncer les hypocrisies provoquées par l'importance d'en faire partie, tout en adoptant lui-même la ligne de conduite scrupuleuse de dire ce qu'il pense d'eux aux gens, tandis que Célimène cultive l'entretien de son cercle de connaissances.
La première scène de l'acte II est un dialogue entre Alceste et Célimène. C'est la première apparition de ce personnage, dont Philinte et Alceste nous ont dressé un portrait à l'acte I scène 1 (vers 206 à la fin), comme une femme mondaine. Comment cet entretien privé poursuit-il l'éthographie d'Alceste en atténuant son ridicule, et faisant émerger ce qu'il peut y avoir de bon sens dans ses préceptes, pour mieux permettre l'apparition de Célimène et la présentation de son personnage entre charme et perfidie, tout en cultivant le comique burlesque ?
[...] Cette tempérance trouve un écho dans la délicatesse de la stratégie de séduction mise en place afin d‘amadouer son interlocuteur, qui le rapproche de ce qu‘il dénonce à l‘acte mais qui, moins outrancière, paraît humaine et justifiée. Même sa jalousie est plaisante, puisqu'elle s'exprime avec beaucoup d'esprit dans le portrait qu'il dresse. Ce morceau de bravoure annonce ceux de la scène 4 de l'acte II, dite des portraits où Célimène peint plusieurs des courtisans avec beaucoup d‘esprit et le sens de la formule. [...]
[...] Célimène renverse le système d'accusation en accusant elle-même Alceste de lui reprocher des choses qui ne sont pas de son ressort. Les deux vers suivants poursuivent le processus en prêtant à Alceste des propos qu'il n'a pas eus, et des solutions volontairement extrêmes destinées à attaquer les fondements du discours d'Alceste : Et lorsque pour me voir ils font de doux efforts, Dois-je prendre un bâton pour les mettre dehors ? L'opposition connotative de l'adjectif doux et de bâton diabolise la solution énoncée, à travers les interrogatives, comme une reformulation des paroles d'Alceste, en mettant en exergue l'innocence des prétendants. [...]
[...] Ceci est sans aucun doute l'occasion pour Molière d'un jeu outrancier dans la plus pure tradition burlesque, avec mimes et singeries. Alceste, après avoir tenu un rôle éloigné du ridicule, renoue avec celui-ci dans cette tirade grimaçante où s'exprime toute la jalousie du personnage. La réponse de Célimène achève de brosser son portrait social. Bien loin de prendre la défense de Clitandre et de répondre aux traits d'esprit d'Alceste, elle se défend elle-même d'avoir le droit d'entretenir la compagnie de Clitandre en avançant l'argument d'intérêt judiciaire qu'elle y a : Ne savez-vous pas bien pourquoi je le ménage, Et que dans mon procès, ainsi qu'il m'a promit, Il peut intéresser tout ce qu'il a d'amis ? [...]
[...] Dans un deuxième temps, nous remarquerons la tempérance et le bien-fondé du discours d'Alceste, qui s'oppose à l'extrémisme des scènes précédentes et lui confère un autre rôle dans cette scène. Enfin, nous verrons ici l'occasion d'un morceau de bravoure comique inspiré de la comédie italienne, qui rend à Alceste son ridicule en en faisant un jaloux, mais qui n'éclipse pas la critique du personnage de Célimène. L'acte I s'est clos sur le départ brusque et inexpliqué d'Alceste, comme une fermeture au monde. [...]
[...] Ces atours appartiennent à la mode de la cour et n'ont donc rien d'immédiatement ridicule : l'ongle long qu'il porte au petit doigt (v.479), sa perruque blonde (v.482), ses grands canons (v.483), ses rubans (v.484), son ton de fausset (v.487) sont des attributs affichés par les hommes de la cour. Cependant, la répétition dérivative des formules interrogatives, dont toutes les phrases sont faites dans cette seconde partie, pour demander ce qui plaît chez Clitandre, traduit dans le texte le cynisme d'Alceste par l'effet d'exagération qu'elle produit très vite, en jetant de l'emphase sur l'affection que Célimène peut porter à cet homme. D'autre part, l'abondance des adjectifs épithètes et des adverbes ajoute à cet effet. [...]
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